Compétences informationnelles et bibliothèques scolaires du Québec : un état de la recherche

Alors que les élèves du primaire et du secondaire québécois utilisent en premier lieu Internet pour trouver de l’information dans le cadre de leurs études (Karsenti, Collin et Dumouchel, 2012), le développement de leurs compétences informationnelles s’avère capital. En effet, être en mesure de chercher, d’évaluer et d’utiliser de l’information représente un ensemble de compétences essentielles pour réussir tant dans ses études que dans le monde du travail (International Federation of Library Associations and Institutions, 2005). Mais puisque ces compétences relèvent très fortement du domaine de la bibliothéconomie et des sciences de l’information, il importe de se demander la place qu’occupent les bibliothécaires scolaires du Québec dans le développement de ces compétences chez les élèves. De fait, ils devraient théoriquement être les plus aptes en termes de connaissances et de compétences pour chercher, évaluer et utiliser l’information. Par contre, sont-ils adéquatement formés pour enseigner ces compétences? Ont-ils des conditions gagnantes pour le faire? Et est-ce que la recherche empirique effectuée au Québec appuie suffisamment l’impact qu’ils ont à enseigner ces compétences chez les élèves? Ce court billet tente de répondre à ces questions en se référant à la littérature publiée depuis la sortie du rapport Bouchard en 1989.

Rôle officiel et formation des bibliothécaires scolaires du Québec en termes de compétences informationnelles

Au Québec, la formation aux compétences informationnelles n’est pas assignée à un personnel enseignant hautement spécialisé en maîtrise de l’information (numérique ou non) comme en France où l’on trouve des professeurs documentalistes dans les collèges et les lycées. Par contre, selon le Plan d’action sur la lecture à l’école du Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec (MELS), le programme de maîtrise en science de l’information permet aux bibliothécaires scolaires « de comprendre la responsabilité de la bibliothèque quant à l’accompagnement des enseignants et des élèves dans la maîtrise de l’information qu’ils ont à traiter » et d’être en mesure d’élaborer « des projets intégrant les ressources documentaires aux programmes d’études et les réalise(r) en collaboration avec un enseignant, soit :

  • par l’application de la compétence « Exploiter l’information » dans le contexte d’une recherche menée à l’intérieur de n’importe quelle discipline;
    ou
  • l’application multidisciplinaire (…) en recherche d’information. »

Les programmes de formation pour devenir bibliothécaire scolaire qui sont offerts par l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI) de l’Université de Montréal et la School of Information Studies (SIS) de l’Université McGill permettent certes de former des bibliothécaires scolaires au niveau des compétences informationnelles, comme en témoignent par exemple les cours SCI6315 – Formation aux compétences informationnelles et SCI6365 – Bibliothèques scolaires et apprentissage à l’EBSI, et le cours GLIS 679 – Information Literacy à la SIS. Par contre, on constate que la formation initiale offerte dans ces institutions comprend peu de cours pour apprendre comment former les élèves au niveau de leurs compétences informationnelles, et que plusieurs de ces cours sont à option, donc non obligatoires.

Survol de l’importance attribuée au rôle des bibliothécaires scolaires du Québec dans le développement des compétences informationnelles à travers les années

Malgré tout, la participation des bibliothécaires scolaires dans la formation des élèves en termes de compétences informationnelles est depuis longtemps préconisée par plusieurs auteurs et organismes depuis la décennie 1980. En 1989, le rapport Bouchard soulignait d’ailleurs qu’ils avaient un rôle actif à jouer dans « la formation des usagers à l’utilisation des diverses méthodes de travail et de recherche documentaire » (p. 5).

Au cours de la décennie 1990, certains affirmaient que la bibliothèque scolaire avait pour objectif de développer les habiletés d’information de l’élève afin qu’il apprenne « à utiliser les systèmes d’accès à l’information » ou de « développer sa capacité d’analyse et son esprit critique face à l’information » (Beaulac, Bernhard et Gaudet, 1991, p. 2), alors que d’autres donnaient à la bibliothèque scolaire le rôle de « faire le lien avec l’enseignement en formant les élèves aux habiletés reliées à l’utilisation de la documentation » (Théberge, 1994, p. 220).

La décennie 2000 a aussi vu plusieurs auteurs signaler l’importance de la bibliothèque scolaire dans la formation aux compétences informationnelles des élèves, notamment par rapport à l’information sur Internet. Alors présidente de l’Association pour la promotion des services documentaires scolaires (APSDS) et de la Coalition en faveur des bibliothèques scolaires, Jocelyne Dion a en particulier martelé cette position à maintes reprises, déclarant entre autres que la réforme de l’éducation du tournant du millénaire présentait une occasion en or pour mettre en valeur les compétences professionnelles du bibliothécaire scolaire pour former les élèves à l’usage de l’information (2001, p. 9), et que celui-ci devait collaborer avec les enseignants afin que les élèves puissent acquérir et développer des compétences informationnelles (2008, p. 72-73).

La présente décennie a vu d’autres auteurs reprendre le flambeau pour que la contribution des bibliothécaires scolaires au niveau de la formation de ces compétences soit reconnue et mise en pratique à grande échelle. C’est le cas de Brigitte Moreau, bibliothécaire à la Commission scolaire de la Pointe-de-l’Île, qui a proposé en 2011 un nouveau rôle pour ce corps professionnel qui selon elle sera d’agir en tant que « conseiller pédagogique « transversal », dans le sens où ses interventions touchent l’ensemble de la communauté apprenante et toutes les disciplines » et « de répondre à des attentes très précises » de cette dernière telles que de l’aider à savoir « comment développer les habiletés informationnelles des élèves » (p. 124).

La dure réalité du terrain pour les bibliothécaires scolaires dans la formation aux compétences informationnelles

Plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi la situation des bibliothécaires scolaires ne s’est pas notablement améliorée malgré l’apport indéniable qu’ils peuvent apporter dans la formation à la recherche et au traitement de l’information. Certains soulignent leur nombre restreint au sein des écoles québécoises (Dion, 2005), alors qu’une commission scolaire emploie souvent un seul bibliothécaire pour l’ensemble de son territoire. D’autres critiquent le manque de formation pédagogique offert tant en formation initiale (Lauret, 2006) qu’en formation continue (Delorme, 2009, p. 117). Pour sa part, Marie-Christine Savoie de l’APSDS (2008) met l’accent sur le besoin d’une définition claire de la part du MELS à propos du rôle des bibliothécaires scolaires du Québec qui devrait selon elle englober entre autres le développement des compétences informationnelles. De son côté, Brigitte Moreau (2011) avance que l’état actuel de la profession est probablement lié « à une certaine intransigeance d’un discours bibliothéconomique pur et dur, sans concession pour le contexte scolaire, doublé d’un certain repli sur soi qui ont fait disparaître, peu à peu, les bibliothécaires professionnels du réseau scolaire » (p. 122).

État de la recherche empirique québécoise venant appuyer le rôle déterminant des bibliothécaires scolaires dans la formation aux compétences informationnelles des élèves

Ces raisons ne peuvent à elles seules expliquer le rôle effacé que jouent depuis longtemps les bibliothécaires scolaires dans le développement des compétences informationnelles des élèves du Québec. En effet, une recension de la littérature scientifique et professionnelle parue entre 1989 et 2012 à ce sujet offre une autre piste d’explication. Il en ressort qu’il existe – à notre connaissance – très peu de publications de recherches empiriques ayant étudié le rôle des bibliothécaires scolaires dans la formation à la recherche et au traitement de l’information dans les écoles québécoises. Au sein des publications phares de la bibliothéconomie et des sciences de l’information québécoises (Argus; Documentation et bibliothèques), seulement une étude descriptive a été publiée à ce sujet. De fait, Levasseur (1994) ne fait que décrire une expérience d’implantation de CD-ROM et de banques de données dans une bibliothèque d’une école secondaire de Sainte-Foy, et la façon employée pour développer les habiletés des élèves en recherche, en compréhension et en utilisation de l’information. Aucune donnée empirique solide ne vient appuyer l’impact positif de la venue de ces technologies au sein de la bibliothèque en question.

En élargissant la recension à d’autres types de publication, on retrouve un article de la revue Vie pédagogique où Jean-Guy Marcotte (1991) explique le succès d’ateliers d’animation en formation documentaire, notamment envers le système de classification Dewey, au sein de 7 écoles de la Commission scolaire de Victoriaville par les réponses obtenues dans un questionnaire distribué aux élèves. Par contre, il ne précise pas la taille de l’échantillon étudié, ce qui signifie qu’on ne sait pas combien d’élèves représentent les 72% qui ont dit avoir compris le système Dewey (p. 29). De son côté, le document Une approche d’exploitation des ressources documentaires pour l’école informatisée de Michaud et Rocheleau (1998) présente « des pistes de réflexion quant à l’importance accordée aux services documentaires dans le modèle de l’école informatisée » (p. 3). Fruit d’un projet de recherche-action mené par l’équipe du projet École informatisée Clés en main du Centre de recherche LICEF de la Télé-université auprès de deux écoles secondaires du Québec, il ne présente toutefois pas exactement des résultats empiriques sur le rôle des bibliothécaires scolaires dans le développement des compétences informationnelles des élèves. Bref, mis à part ces trois documents recensés, aucune autre étude ne porte sur le rôle des bibliothécaires ou même de la bibliothèque scolaire tout court dans le développement des compétences informationnelles des élèves du Québec.

Un constat et des pistes de solutions

De cette recension rachitique ressort le constat sans équivoque qu’il est impératif de conduire des études empiriques à ce sujet et dans les plus brefs délais afin de profiter du récent réinvestissement du MELS dans les bibliothèques scolaires québécoises. Car à mon humble avis, signaler que les compétences informationnelles sont essentielles pour les élèves et que les bibliothécaires scolaires sont en mesure de jouer un rôle déterminant dans leur développement en référant à des études américaines ou britanniques sur l’impact des bibliothèques sur la réussite des élèves est une stratégie incomplète et redondante qui doit faire place à des arguments tangibles, empiriques et réalisés en contexte québécois. Il faut une fois pour toutes développer de réels partenariats de recherche entre les bibliothécaires scolaires actuellement en poste dans les écoles québécoises, et les professeurs et chercheurs de l’EBSI, de la SIS et même des facultés en sciences de l’éducation. La recherche étant quasi-inexistante, même une étude descriptive menée à l’aide de questionnaires en ligne sur la place des compétences informationnelles dans la formation offerte par les bibliothécaires scolaires apporterait un éclairage scientifique inespéré!

Bref, si la volonté et l’expertise des bibliothécaires scolaires pour développer les compétences informationnelles des élèves du Québec sont claironnées depuis plus de deux décennies, elles sont malheureusement peu appuyées par la recherche scientifique. Par conséquent, il faut « encourager les universités à faire de la recherche dans le domaine de la bibliothèque scolaire » comme le propose la Coalition en faveur des bibliothèques scolaires afin que des études viennent démontrer empiriquement que les bibliothécaires scolaires québécois ont les compétences et l’impact qu’ils revendiquent pour développer les compétences informationnelles des élèves.

À propos de l’auteur: Gabriel Dumouchel est doctorant en psychopédagogie à l’Université de Montréal sous la direction du professeur Thierry Karsenti. Sa thèse porte sur les compétences informationnelles des futurs enseignants du Québec. Il est aussi chargé de cours à l’UdeM en intégration des technologies de l’information et de la communication au baccalauréat en enseignement.

Bibliographie

Beaulac, J., Bernhard, P., & Gaudet, R. (1991). La bibliothèque scolaire: mission et objectifs. Montréal, Québec: APSDS.

Comité d’étude sur les bibliothèques scolaires. (1989). Les bibliothèques scolaires québécoises: plus que jamais… Québec, Québec: Ministère de l’Éducation du Québec.

Delorme, S. (2009). Formation continue et formation initiale: les deux côtés d’une même médaille. Dans F. Dubois, M. Lajeunesse, M. Lecavalier, R. Horinstein et G. Beaudry (dir.), Bibliothécaire: passeur de savoirs (p. 113-120). Montréal, Québec: Éditions Carte blanche.

Dion, J. (2008). Les bibliothèques scolaires québécoises: une évolution en dents de scie. Documentation et bibliothèques, 54(2), 69–74.

Dion, J. (2005). Les bibliothèques scolaires à la dérive. Québec français, (136), 33–35.

Dion, J. (2001). Les bibliothèques scolaires au Québec: un virage apparaît nécessaire. Argus, 30(1), 5–11.

International Federation of Library Associations and Institutions. (2005). La proclamation d’Alexandrie sur la maîtrise de l’information et l’apprentissage tout au long de la vie. Récupéré de http://ifla.queenslibrary.org/III/wsis/BeaconInfSoc-fr.html

Karsenti, T., Collin, S., & Dumouchel, G. (2012). L’usage intensif des technologies en classe favorise-t-il la réussite scolaire? Le cas d’un regroupement d’écoles du Québec (Canada) où chaque élève a son ordinateur portable. Dans S. Boéchat-Heer & B. Wentzel (dir.), Génération connectée: quels enjeux pour l’école? (p. 71–89). Bienne, Suisse: HEP-BEJUNE.

Lauret, D. (2006). Bibliothèques scolaires au Québec et Centres de Documentation et d’Information (CDI) en France: analyse comparative de deux systèmes documentaires. Argus, 35(2), 34-39.

Levasseur, H. (1994). Introduction des nouvelles technologies dans une bibliothèque d’école secondaire. Documentation et bibliothèques, 40(4), 237-240.

Marcotte, J.-G. (1991). Commencer à animer la bibliothèque. Vie pédagogique, 70, 29.

Michaud, P., & Rocheleau, J. (1998). Une approche d’exploitation des ressources documentaires pour l’école informatisée. Montréal, Québec: École informatisée Clés en main du Québec. Récupéré de http://www.robertbibeau.ca/crm0398.pdf

Moreau, B. (2011). Réformer le mandat du bibliothécaire scolaire: une question de survie. Documentation et bibliothèques, 57(2), 121–125.

Savoie, M.-C. (2008). Lettre envoyée à la Ministre Michelle Courchesne le 18 mars 2008 demandant la poursuite du Plan d’action sur la lecture à l’école. Montréal, Québec: APSDS. Récupéré de http://bibliothequesscolaires.qc.ca/?p=1258

Théberge, J.-Y. (1994). La formation des élèves et la bibliothèque au secondaire. Documentation et bibliothèques, 40(4), 219–221.

À propos de gabrieldumouchel

Doctorant en psychopédagogie à l' Université de Montréal dont la thèse porte sur les compétences informationnelles des futurs enseignants du Québec

9 Réponses vers “Compétences informationnelles et bibliothèques scolaires du Québec : un état de la recherche”

  1. ..une petite pensée pour les techniciens en documentation? Nous sommes formés pour maîtriser les ressources informationnelles et, souvent, bien présents déjà dans les milieux scolaires!

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  2. Il ne faut pas oublier qu’au Québec, les écoles de bibliothéconomie forment beaucoup plus de praticiens que de chercheurs. La maîtrise en bibliothéconomie est en effet une maîtrise professionnelle. Très peu d’étudiants optent pour le parcours en recherche. C’est sans doute là une autre des raisons qui expliquent qu’il y ait peu de recherches empiriques québécoises portant sur le rôle des bibliothécaires scolaires dans la formation aux compétences informationnelles.

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  3. Je viens de relire cet article et je me questionne aujourd’hui, en début 2014 : ce n’est pas uniquement l’EBSI ou autre école en science de l’information à revoir son corpus et sa recherche, mais aux nombreuses facultés d’Éducation à entrer dans le monde de la bibliothéconomie. Ainsi, un enseignant qui envisage une maîtrise pourrait le faire en « school-librarianship » au même titre que l’enseignant qui souhaite faire une maitrise pour devenir conseiller pédagogique. Solutions possibles ? L’avenir nous le dira…

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