Connais-toi toi-même… pour mieux former : le rôle du bibliothécaire formateur

Au cours de l’année 2012-2013, des bibliothécaires* du réseau de l’Université du Québec (UQ) impliqués dans le PDCI ont soumis à la table des directeurs de bibliothèques UQ une réflexion sur le rôle des bibliothécaires formateurs. Je vous communique ici quelques faits saillants du rapport qui a été déposé en mai 2013.

L’objectif de la réflexion était de fournir aux directeurs des bibliothèques un portrait du rôle des bibliothécaires formateurs dans le réseau UQ afin que, dans leurs démarches de représentation, ceux-ci disposent d’une compréhension à jour des tenants et aboutissants du rôle formateur des bibliothécaires. Les avenues pour mieux faire connaître l’expertise des bibliothécaires formateurs en seraient dès lors actualisées.

Information de gestion

Dans un premier temps, l’équipe a envisagé la collecte d’information sur le terrain pour dégager tant les pratiques et réalités communes que la pluralité des manifestations du rôle de formateur. Bien que des statistiques minimales concernant les formations soient collectées sur une base régulière dans les institutions (une partie des statistiques « CRÉPUQ » des bibliothèques), il s’est avéré que peu, voire aucun service, pouvait fournir à la demande des données précises comme le taux de pénétration dans les programmes, le nombre moyen de formations par bibliothécaire ou technicien, le temps total consacré aux formations, la perception des professeurs ou encore des indicateurs de qualité. Outre la faible exploitation des données statistiques actuelles (ex : aucun ratio n’est calculé pour permettre de mieux relativiser les données), peu de données autres que celles requises par la CRÉPUQ sont systématiquement collectées –  et si données il y a, leurs définitions et leurs méthodologies de collecte ne sont pas nécessairement comparables d’une institution à l’autre. À l’UQAM, nous avons fait officieusement un exercice de statistiques descriptives concernant notre activité de formation documentaire. Je ne peux pas en publier ici les détails, mais l’expérience a permis de démontrer que la tenue annuelle de ces indicateurs pourrait, par exemple, permettre de suivre l’évolution de la charge de travail, de documenter les contenus abordés ou encore de mesurer l’effort d’innovation.

Premier constat et recommandation

Bref, en l’absence d’une telle information de gestion, l’équipe a renoncé à l’idée d’un portrait descriptif basé sur des données, ce qui a permis de formuler un premier constat :

Le manque de connaissances UQ probantes en matière de formation documentaire diminue l’efficacité des efforts de promotion.

J’ajouterais aussi que ce manque prive la réflexion sur l’ensemble de nos pratiques de formation d’un apport plus objectif pour les améliorer. Le bon vieux dicton « Connais-toi toi-même » tient toujours, même en formation documentaire…

De ce constat a découlé la recommandation d’effectuer en bonne et due forme un sondage auprès des professeurs pour connaître leurs perceptions vis-à-vis des formations documentaires et des compétences informationnelles et de procéder à une collecte de données sur la formation documentaire plus détaillées que ce qui est fait à l’heure actuelle.

Les tâches du bibliothécaire formateur

Quoi qu’il en soit, l’absence d’information de gestion n’enlève rien à l’intérêt de l’information anecdotique que les collègues pouvaient rapporter de leurs expériences de formateurs. L’équipe a donc exploité cette information de nature plus subjective pour mieux détailler le quotidien du bibliothécaire formateur. En premier lieu, l’équipe a procédé à l’analyse des offres d’emploi affichées sur les sites de la CBPQ, de la SLA et de l’IFLA pour l’année 2012 dans le but d’en dégager le type de tâches exigées concernant la formation documentaire. Une fois la liste des tâches établie, un représentant de chaque institution UQ (ou presque) s’est « amusé » à confronter sa pratique professionnelle avec cette liste. Mentionnons au passage que, parmi les offres en provenance des universités, collèges ou commissions scolaires, 75% d’entre elles exigeaient la prestation de formations documentaires, soit la tâche la plus souvent demandée, toutes tâches confondues. Par ailleurs, cette tâche de « prestation » mise en vedette, bien que fort importante, occulte parfois (ou souvent) toutes les autres tâches périphériques à celles-ci. L’intérêt de détailler les tâches du rôle formateur du bibliothécaire est de contrer cet effet réducteur et de rendre plus visible aux gestionnaires la variété des tâches gravitant autour du court moment de la présentation en tant que telle avec les usagers. Les tâches identifiées ont été regroupées en huit grandes catégories dont le détail figure dans le tableau suivant :

tableau_taches

Temps consacré à ces tâches

Les collègues ont tenté d’évaluer le temps consacré à ces tâches dans l’exercice de leurs fonctions. Le résultat est certes très subjectif mais a permis de faire ressortir que les bibliothécaires consacrent beaucoup de temps aux tâches liées à la formation documentaire. La catégorie des tâches reliées à la Conception arrive toujours en tête de liste, peu importe le type de formation faisant l’objet de l’étude de cas. L’ordre de grandeur varie toutefois en fonction du type de formation. Par exemple, pour le cas d’un collègue, une formation dont la prestation totalise 3,5h et comprenant des devoirs obligatoires pondérés, peut demander en gros 130h de travail initial de conception (presque 1 mois de travail à temps plein… sans interruption) et de 30h à 60h de mise à jour annuelle selon l’importance de nouveautés affectant ladite formation. Une formation se rapprochant davantage d’une séance d’information de 3h demandera quant à elle un peu moins de 40h initiales de conception (donc environ 1 semaine de travail à temps plein… sans interruption) et environ 2 jours de mise à jour annuelle par la suite.

En seconde position du palmarès du temps consacré aux tâches vient la catégorie Planification. D’après les estimations des collègues, il semble que plus la formation est intégrée dans un cadre de certification ou dans un référentiel de compétences, plus le temps consacré à la planification gagne en importance. Ce temps peut atteindre, dans les cas présentés par les collègues, un investissement initial d’un peu plus de 110h (environ 3 semaines de travail équivalent temps plein). Dans le cas d’une formation traditionnelle « one-shot session », la planification initiale tournerait autour de 2 jours de travail.

Norme de travail

Je ne souhaite pas m’étaler sur ces chiffres, car ceux-ci relèvent davantage du cas particulier et pourraient dès lors différer de ceux résultant d’un effort collectif pour se doter d’une norme de travail. Norme qui, soit dit en passant, serait bien utile pour évaluer notre charge de travail, au même titre que le font les enseignants. D’autant plus que la majorité des bibliothécaires du réseau UQ doivent composer avec d’autres tâches telles que la référence, le développement de collection, l’indexation et les groupes de travail par exemple. Dans ce contexte, la pleine réalisation de l’ensemble des tâches exige une saine gestion des priorités pas toujours évidente.

À combien d’heures de prestations votre direction considère-t-elle que vous avez une charge normale? Comment la charge est-elle pondérée en tenant compte du nombre de formations différentes à préparer? Comment la charge est-elle pondérée lorsqu’une nouvelle formation est demandée? Notons qu’au Royaume-Uni, entre 20 et 40 % du temps des bibliothécaires est alloué aux tâches liées à la formation documentaire et que ce pourcentage est de l’ordre de 50 % aux États-Unis (Bewick 2010). À titre d’exemple, puisque je ne peux que fournir des données professionnelles personnelles, en 2012-2013, j’ai eu 12 formations différentes à préparer pour un temps de prestation annuel de 48,6h avec 58% des formations dispensées à l’automne et 75% à l’hiver (certaines étaient répétées les deux sessions) et mon effort d’innovation (nouvelles formations) était de 17%. Je peux vous assurer qu’avec la charge de travail de mes autres tâches, j’ai fait des heures supplémentaires « en titi » et qu’il était bien malaisé de le réclamer, car aucune norme, à ma connaissance, ne me permettait d’affirmer que j’étais en surcharge par rapport à mes collègues…

Dernier constat et action posée

Un dernier constat que l’équipe a formulé est que devant la somme de temps investi dans la formation documentaire, il importe de mieux évaluer dans quelles mesures les formules actuelles d’intervention ont un impact sur le développement des compétences informationnelles. Ajoutons que tenter de mesurer cet impact s’avère bien difficile avec l’absence d’information de gestion constatée plus haut. La table des directeurs a pris bonne note des constats et recommandations et a activement soutenu au printemps dernier le PDCI dans sa démarche pour obtenir un fonds FODAR concernant un nouveau projet sur l’évaluation de la formation documentaire au sein de l’UQ. Nous en aurons certainement des nouvelles via Tribune CI un de ces jours!

*Vanessa Allnutt (UQAR), Michel Courcelles (INRS), Vicky Gagnon (ÉTS), Sylvie Gervais (UQO), Dominique Légaré (UQ), Cynthia Lisée (UQAM), Jean-Philippe Pouliot (UQAC) et Catherine Séguin (UQO).

Référence

Bewick, L., & Corrall, S. (2010). Developing librarians as teachers: A study of their pedagogical knowledge. Journal of Librarianship and Information Science, 42(2), 97-110.

À propos de Cynthia Lisée

Bibliothécaire de référence à la Bibliothèque des sciences de l'UQAM (liaison avec les départements de mathématiques et d'informatique)

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