Speed Databasing Français : une activité associant rapidité et romantisme

Auteurs : Frédérique Flamerie et Raphaël Grolimund, bibliothécaires respectivement à l’université de Bordeaux et à la Haute école de gestion (HEG) de Genève

Objectifs et contexte

La dénomination « ressources électroniques » désigne plusieurs types de ressources bien distinctes par leur couverture et leurs fonctionnalités, et qu’il importe de distinguer : bases de données bibliographiques, plateformes d’éditeurs, serveurs de prépublications, dépôts institutionnels, moteurs de recherche, etc. 

En plus des contenus, les fonctionnalités de recherche diffèrent d’une ressource à l’autre. Cela implique que ces ressources sont complémentaires et qu’il n’est pas possible d’utiliser une plateforme en lieu et place d’une autre, a fortiori lorsque le choix initial se porterait sur Google Scholar (Gusenbauer et Haddaway 2020). Cela implique aussi qu’il peut être nécessaire, en fonction du contexte de sa recherche et de ses objectifs, d’interroger un plus ou moins grand nombre de ressources.

Les étudiants doivent donc comprendre que plusieurs sources sont nécessaires pour réaliser un travail universitaire de qualité ou simplement pour se défendre contre la désinformation (Walton et al. 2022).

Or, la présentation des ressources électroniques se fait le plus souvent sous la forme d’une énumération, qu’il s’agisse d’une liste plus ou moins dynamique affichée sur le site web de la bibliothèque, ou d’une liste des ressources présentées au fil d’une formation. Cette présentation successive de différents outils les uns après les autres peut susciter un effet « catalogue » décourageant : face à cet inventaire, comment choisir la ressource la plus pertinente ? Comment comprendre et assimiler les différences entre tous ces outils ?

Dans le cadre de l’apprentissage des styles de peinture de différents artistes, plusieurs études dont celles de Kornell et Bjork (2008) ou Kang et Paschler (2012) ont montré l’importance de prêter attention aux caractéristiques qui discriminent les catégories et l’importance d’ignorer les caractéristiques non pertinentes. Ces résultats ont été confirmés à plusieurs reprises et dans divers domaines : distinguer les uns des autres des oiseaux (Birnbaum et al. 2013; Wahlheim, Dunlosky, et Jacoby 2011), des papillons (Birnbaum et al. 2013) ou encore des formes abstraites (Carvalho et Goldstone 2014). Il nous a paru par conséquent raisonnable de tenter de procéder de la même façon avec les ressources électroniques : soumettre aux étudiants deux ressources ou plus en même temps, pour les amener à en distinguer les différences et à mieux comprendre laquelle utiliser dans quelle situation. Nous n’avons pas (encore) de preuve de l’efficacité de cette méthode appliquée aux sciences de l’information. L’efficacité des pédagogies actives, mettant les étudiants aux commandes de leur apprentissage, a été, elle, démontrée à plusieurs reprises dans divers contextes (Prince 2004; Freeman et al. 2014).

Nous recherchions donc une méthode de pédagogie active répondant aux objectifs principaux suivants :

  • donner l’occasion aux étudiants d’interagir avec de nombreuses bases de données, sans qu’il soit nécessaire de faire une démonstration de chacune d’elles,
  • rappeler aux étudiants qu’une multitude de sources d’information existe,
  • apprendre aux étudiants à distinguer leurs différences,
  • encourager les comparaisons, la réflexion sur les critères d’analyse et de choix d’un outil de recherche,
  • encourager l’exploration et la découverte.

L’activité Speed Databasing conçue par Jill Chisnell et Teresa MacGregor (MacGregor et Chisnell 2018) nous a semblé répondre à tous ces objectifs, en détournant de surcroît l’effet « catalogue » mentionné ci-dessus de façon amusante, par la transformation de la lecture d’un catalogue rébarbatif des bases de données en une activité sinon de rencontre du moins de découverte active.

Figure 1: Les fiches en anglais et leur diversité (forme et fond)

L’approche Speed Databasing nous a aussi paru très versatile, tant du point de vue des activités possibles à partir du matériel créé que des réemplois du matériel lui-même. Lors de la création de la séquence pédagogique, l’accent peut être porté sur différentes composantes, qu’il s’agisse de la rapidité ou du romantisme de la rencontre. Les fiches en elles-mêmes se prêtent également à de multiples réutilisations dans différents contextes, comme une exposition de posters, à l’instar de celle organisée en 2016 à l’Université Carnegie Mellon au Qatar (voir la rubrique « 05 Posters and Pictures » de l’espace de stockage du projet sur Open Science Framework).

Choix, adaptation, traduction et création des fiches

Sans reprendre le détail de la documentation disponible à partir du wiki de notre projet sur Open Science Framework (OSF), nous souhaitons rappeler ici les points clés de notre démarche. Nous avons bien sûr au préalable sollicité les créatrices de Speed Databasing, à la fois pour nous assurer qu’une autre entreprise de traduction en français n’était pas en cours et pour déterminer les modalités de mise en ligne, sous la forme d’un composant Speed Databasing Français (Flamerie et Grolimund 2022) intégré au projet original sur OSF.

Choix des outils de recherche

Le choix des bases de données et outils de recherche pour lesquels créer des fiches a constitué la première étape. En confrontant les listes établies respectivement par chacun d’entre nous pour couvrir ses domaines disciplinaires, il s’est avéré qu’il y avait finalement peu de recoupements. Notre collaboration binationale et interdisciplinaire allait ainsi permettre de créer un nombre important de fiches.

Création du modèle de fiche

À partir de notre sélection d’outils de recherche et des modèles de fiche existants, nous avons défini notre propre modèle de fiche. Si les rubriques descriptives sont variables dans les fiches en anglais, nous avons privilégié un modèle unique avec des rubriques fixes pour Speed Databasing Français. Cette option nous a semblé faciliter la prise en main de l’activité tant sur le plan pédagogique pour la comparaison entre outils que sur le plan pratique pour la création de nouvelles fiches. Nous avons retenu les rubriques suivantes, avec le triple objectif de fournir un contenu informatif précis, de mettre en avant les spécificités liées à la recherche bibliographique et de conserver la touche de romantisme d’une fiche de rencontre.

  • Nom – Name :  nom de la base de données
  • Age – Age : couverture temporelle
  • Adresse – Location : pays de l’éditeur de la base de données et/ou couverture géographique et/ou couverture linguistique
  • Qualifications – Education : niveau des documents indexés (publications à comité de lecture, etc.)
  • Description physique – Physical description : volumétrie
  • Centres d’intérêt – Interests : couverture disciplinaire
  • Vous serez surpris d’apprendre que… – You’d be surprised to know : fonctionnalité ou caractéristique particulière liée à la recherche bibliographique et distinguant cette base de données des autres
  • À la recherche de – In search of… : public cible de la base de données

Création des fiches en français

Une fois la liste des outils de recherche établie et le modèle de fiche déterminé, nous avons pu élaborer les fiches en français. Le travail de création a finalement pris le pas sur celui de traduction, soit parce que l’outil n’avait pas du tout de fiche en anglais, soit parce que cette fiche n’était pas construite selon les mêmes rubriques que la nôtre. Notre travail en binôme a permis, pour chaque fiche, de bénéficier de la relecture d’un œil parfois expert et parfois novice, chacun de nous ne connaissant pas tous les outils sélectionnés par l’autre. Nous avons ensuite créé des activités autour de ces fiches.

Figure 2: Les fiches en français sont conçues pour être comparées entre elles.

Activités développées

Les fiches descriptives des activités ainsi que les questionnaires et tous les fichiers nécessaires à leur réalisation sont disponibles sur OSF, dans la rubrique « 02-activités » de l’espace de stockage.

Genève

À la Haute école de gestion (HEG) de Genève, une activité de Speed Databasing est utilisée depuis 2021 en introduction du cours de recherche dans les sources spécialisées (764-31) de la filière Information Science (anciennement information documentaire). L’activité ne concerne que la partie du cours qui traite des ressources en sciences et techniques. Le cours est donné aux futurs bibliothécaires, documentalistes, archivistes et autres spécialistes en sciences de l’information au cours de la 2e année du Bachelor.

Une trentaine de ressources électroniques en sciences et techniques sont couvertes dans ce cours, incluant des bases de données bibliographiques, des plateformes d’éditeur, des serveurs de prépublications et des moteurs de recherche (Grolimund 2024).

L’activité de Speed Databasing a pour but d’alléger la charge cognitive des étudiants (Sweller 1988) en scindant l’apprentissage en étapes plus « digestes » et en adoptant une approche ludique pour aborder le panorama des nombreuses ressources électroniques en sciences et techniques. Elle doit aider les étudiants à comprendre que le choix d’une ressource plutôt que celui d’une autre doit être guidée par un besoin identifié (la question de recherche à laquelle répondre) et des critères précis (domaine concerné, type de document approprié, couverture temporelle souhaitée, etc.).

Les deux composantes de Speed Databasing sont présentes dans cette activité : elle ne dure que 10 à 15 minutes (rapidité) et permet aux étudiants de trouver la ressource qui correspond le mieux à leur projet (romantisme).

Bordeaux

À l’université de Bordeaux, l’activité de Speed Databasing est présente depuis 2021 dans la formation à la recherche documentaire dispensée aux étudiants du Master 1 Santé publique de l’Institut de santé publique et de développement (Isped). L’activité a connu différentes variations et déclinaisons pour être finalement stabilisée à sa troisième version ; elle représente environ 45 minutes d’un volume horaire de 4h de cours. Certains éléments de contexte et des objectifs spécifiques ont conduit à une forme finalement un peu éloignée du speed dating tel que décrit dans la littérature (Galindo s. d.).

Si les étudiants sont rassemblés dans la même promotion d’un même diplôme, ils viennent de filières variées et s’orientent dès le second semestre vers des parcours différents, de la biostatistique au management des organisations médicales. Leurs travaux de groupe peuvent les conduire à utiliser des types de ressources divers, puis leurs besoins en termes de recherche documentaire deviennent beaucoup plus spécifiques. L’activité vise de la sorte à mettre en avant une sélection de ressources utiles immédiatement pour les travaux de groupe et à plus long terme en fonction de l’orientation de chacun, ainsi qu’à mettre en avant les fonctionnalités discriminantes de ces ressources.

La composante romantique de la rencontre est finalement ténue sinon absente, au profit d’un accent plus marqué sur la dimension de rapidité, présente à deux titres. Tout d’abord, insister sur la dimension « speed » ajoute une composante de défi, et fournit une mise en situation de choix rapide pour répondre efficacement dans des délais contraints à un besoin déterminé. Dans la même perspective de développer des automatismes, une deuxième activité de rapidité est intégrée à l’activité Speed Databasing : il s’agit de trouver en 15 minutes les combinaisons de mots-clés en anglais pour 4 sujets donnés en français, sur le modèle (a OR b OR c) AND (aa OR bb OR cc). Signalons enfin que ces activités sont réalisées en binôme, afin de susciter des échanges et de favoriser l’apprentissage réciproque entre les étudiants.

Perspectives

Initié en janvier 2021, le projet de Speed Databasing Français atteindra à la rentrée de septembre 2024 sa troisième année de mise en service. De nombreuses perspectives d’activités nouvelles sont à l’étude à la HEG de Genève, notamment suite au bilan qui a découlé de l’adoption d’une politique institutionnelle sur la culture informationnelle (document interne non diffusé). Si les actions de sensibilisation et formation aux problématiques entourant la fiabilité des sources, leur citation, l’utilisation de Zotero pour ce faire et la récente arrivée des intelligences artificielles génératives se sont multipliées, la recherche d’information a, elle, était beaucoup moins soutenue. Speed Databasing est la principale piste suivie à l’heure actuelle pour pallier ce manque. Il pourrait être décliné sous la forme de rendez-vous du midi pour présenter 2 ou 3 bases de données sur le modèle de l’atelier « Finding resources : speed databasing » de l’université d’Essex, sous la forme d’une exposition de posters dans les couloirs entre les salles de cours et les bureaux des enseignants, ou encore de la diffusion des fiches dans d’autres contextes (activité de rapidité dans un autre cursus que les sciences de l’information par exemple).

Nous restons également ouverts à toute contribution, qu’il s’agisse de créer de nouvelles fiches ou de nouvelles activités à partir des fiches existantes.

Références citées

Birnbaum, Monica S., Nate Kornell, Elizabeth Ligon Bjork, et Robert A. Bjork. 2013. « Why interleaving enhances inductive learning: The roles of discrimination and retrieval ». Memory & Cognition 41 (3) : 392‑402. https://doi.org/10.3758/s13421-012-0272-7.

Carvalho, Paulo F., et Robert L. Goldstone. 2014. « Putting category learning in order: Category structure and temporal arrangement affect the benefit of interleaved over blocked study ». Memory & Cognition 42 (3) : 481‑95. https://doi.org/10.3758/s13421-013-0371-0.

Flamerie, Frédérique, et Raphaël Grolimund. 2022. « Speed Databasing Francais ». Open Science Framework. https://doi.org/10.17605/OSF.IO/VUG9T.

Freeman, Scott, Sarah L. Eddy, Miles McDonough, Michelle K. Smith, Nnadozie Okoroafor, Hannah Jordt, et Mary Pat Wenderoth. 2014. « Active learning increases student performance in science, engineering, and mathematics ». Proceedings of the National Academy of Sciences 111 (23) : 8410‑15. https://doi.org/10.1073/pnas.1319030111.

Galindo, Julia Hayden. s. d. « Speed Dating ». ABLConnect. Consulté le 2 novembre 2023. https://ablconnect.harvard.edu/speed-dating-description.

Grolimund, Raphaël. 2024. « Recherche d’information dans les sources spécialisées en sciences & techniques ». Zenodo. https://zenodo.org/doi/10.5281/zenodo.10530308.

Gusenbauer, Michael, et Neal R. Haddaway. 2020. « Which academic search systems are suitable for systematic reviews or meta-analyses? Evaluating retrieval qualities of Google Scholar, PubMed, and 26 other resources ». Research Synthesis Methods 11 (2) : 181‑217.  https://doi.org/10.1002/jrsm.1378.

Kang, Sean H. K., et Harold Pashler. 2012. « Learning Painting Styles: Spacing is Advantageous when it Promotes Discriminative Contrast ». Applied Cognitive Psychology 26 (1) : 97‑103. https://doi.org/10.1002/acp.1801.

Kornell, Nate, et Robert A. Bjork. 2008. « Learning Concepts and Categories: Is Spacing the “Enemy of Induction”? » Psychological Science 19 (6) : 585‑92. https://doi.org/10.1111/j.1467-9280.2008.02127.x.

MacGregor, Teresa, et Jill Chisnell. 2018. « Speed Databasing ». Open Science Framework. https://doi.org/10.17605/OSF.IO/K6B4H.

Prince, Michael. 2004. « Does Active Learning Work? A Review of the Research ». Journal of Engineering Education 93 (3) : 223‑31. https://doi.org/10.1002/j.2168-9830.2004.tb00809.x.

Sweller, John. 1988. « Cognitive Load During Problem Solving: Effects on Learning ». Cognitive Science 12 (2) : 257‑85. https://doi.org/10.1207/s15516709cog1202_4.

Wahlheim, Christopher N., John Dunlosky, et Larry L. Jacoby. 2011. « Spacing enhances the learning of natural concepts: an investigation of mechanisms, metacognition, and aging ». Memory & Cognition 39 (5) : 750‑63. https://doi.org/10.3758/s13421-010-0063-y.

Walton, Geoff, Matthew Pointon, Jamie Barker, Martin Turner, et Andrew Joseph Wilkinson. 2022. « Information discernment and the psychophysiological effects of misinformation ». Global Knowledge, Memory and Communication 71 (8/9) : 873‑98. https://doi.org/10.1108/GKMC-03-2021-0052.

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