Billet de veille sur l’évaluation des compétences informationnelles : pratiques émergentes et tendances actuelles

Ce billet de veille porte sur l’évaluation des compétences informationnelles (CI), et touche plus particulièrement à certaines pratiques qui ont émergé au cours de la dernière année, de même que les tendances actuelles dans lesquelles s’orientent les travaux de recherche récents.

Pratiques émergentes

La littérature récente portant sur l’évaluation des CI se caractérise par une  incorporation de plus en plus substantielle du nouveau référentiel de l’ACRL dans les pratiques, un attrait envers les méthodes d’autoévaluation, une attention particulière sur la métacognition, ainsi que la création de nouvelles méthodes d’évaluation des CI, comme l’analyse d’affiches scientifiques.

Julien, Gross et Latham (2018) ont mené un sondage en ligne auprès de bibliothécaires universitaires aux États-Unis afin de découvrir les pratiques et les enjeux actuels en matière de formation aux CI dans leurs institutions. Ils ont recueilli des données sur, entre autres, les méthodes pédagogiques, l’incorporation du nouveau référentiel de l’ACRL dans les formations, et l’évaluation des CI chez les étudiants. Du côté de cette dernière, les réponses obtenues démontrent qu’elle est majoritairement faite par les rétroactions des professeurs (58%), suivies par les évaluations formatives effectuées pendant les formations données en classe (41%), et finalement par l’auto-évaluation des étudiants (40%). Le sondage a révélé que l’évaluation des CI demeure largement informelle dans les institutions. Les sphères où il y a des opportunités pour l’amélioration de la pratique sont, notamment : formaliser l’évaluation des apprentissages et des programmes de formation et identifier les opportunités pour l’innovation pédagogique.

Rapchak (2018) a examiné comment les étudiants de première année s’autoévaluaient au niveau de la métacognition sociale après avoir participé à un projet collaboratif dans un cours de CI offert en présence et en ligne, à l’Université Duquesne à Pittsburgh. L’auteur souhaitait découvrir si les étudiants du cours en ligne pourraient nécessiter un plus grand support pour être en mesure de travailler efficacement sur un projet de recherche. Dans le cadre de ce cours obligatoire d’un crédit que tous les étudiants prennent lors de leur première année, ils avaient à décrire leur stratégie de recherche, la critiquer, citer leurs sources, et ensuite évaluer chacune de ces sources. En présence, les étudiants pouvaient travailler en groupe, puis ceux à distance avaient un groupe de discussion. Après avoir terminé le projet collaboratif, les étudiants à distance et en présence étaient invités à compléter le test « Social Metacognitive Awareness Inventory » (SMAI), basé sur le « Metacognitive Awareness Inventory » (MAI), développé par Schraw et Dennison (1994). Au terme du test, une différence significative séparait les étudiants à distance de ceux en présence au niveau de la métacognition sociale. Ceci indique que les étudiants dans le cours en ligne n’étaient pas capables de réguler socialement leur apprentissage au sein du groupe aussi bien que les étudiants en présence. Non seulement les étudiants à distance se sont autoévalués plus bas que ceux en présence dans toutes les catégories du test de métacognition sociale, mais ils ont eu également un résultat plus faible dans le cours de façon globale. Selon l’auteur, ceci indique le besoin de mieux préparer les formateurs aux CI en ligne, de même que les formations et les stratégies à offrir à leurs étudiants pour le travail collaboratif à distance.

Goodman et al. (2018) de l’Université du Nevada à Las Vegas, ont collecté, analysé et annoté des bibliographies produites par des étudiants de première année en sciences de la santé pour leur projet final d’affiches scientifiques. Les auteurs ont examiné la capacité des étudiants à sélectionner des sources pertinentes dont l’autorité est établie, de résumer le contenu de ces sources et de les citer adéquatement. Ils ont colligé les images de 1253 affiches, desquelles 120 ont été échantillonnées pour être analysées, puis notées à l’aide d’une grille d’évaluation en 4 points afin d’évaluer les CI des étudiants. Il a été révélé que 52% des étudiants étaient capables de sélectionner des sources pertinentes, 64% arrivaient à choisir des sources revues par les pairs dont l’autorité est établie, mais 45% des étudiants avaient de la difficulté à correctement citer leurs sources avec le style APA. Les résultats de l’étude démontrent que les étudiants ont besoin davantage de support au niveau des stratégies de lecture et de la citation des articles scientifiques.

Baggett, Connell et Thome (2018), du Concordia College au Minnesota, ont utilisé le référentiel de l’ACRL afin de créer un plan d’évaluation des CI. Le but principal de l’évaluation était de savoir avec quelles compétences et dispositions les étudiants arrivent à l’université, et comment améliorer leurs CI à partir de leurs acquis. Afin de bien intégrer le référentiel de l’ACRL dans les formations et évaluations, une adaptation au référentiel ainsi que des changements dans les modes d’enseignement ont été nécessaires. Puisque la bibliothèque est un pôle central de l’apprentissage étudiant, ils ont revu leur façon de prendre les statistiques pour la référence, de sorte à savoir si l’interaction à la référence abordait l’un des fondements du référentiel. Dans l’affirmative, le bibliothécaire sélectionnait alors un ou plusieurs fondements au(x)quel(s) l’interaction à la référence faisait appel. De plus, ils ont également commencé à évaluer comment les étudiants appliquent les fondements du référentiel dans leurs travaux de recherche. Leur but à long terme est d’implémenter plus d’évaluations de l’apprentissage des étudiants dans les formations à la bibliothèque, puis les incorporer dans un plan d’évaluation cohésif.

Les perceptions pour améliorer les pratiques

Les perceptions et le niveau d’engagement des étudiants ainsi que l’évaluation de leurs compétences, par les enseignants ou par eux-mêmes font souvent l’objet de recherche, et les conclusions peuvent servir à améliorer les méthodes d’enseignement des CI.

Le Library Journal et Credo Reference (2017) se sont unis afin de mesurer le besoin et l’étendue de l’enseignement des CI chez les étudiants de première année universitaire aux États-Unis. Un sondage a été envoyé à environ 12,000 collèges et universités américains, pour un total de 543 institutions répondantes. Selon les bibliothécaires répondants, la principale difficulté des étudiants de première année est de reconnaître et d’évaluer la crédibilité et la fiabilité des sources. La deuxième difficulté est le manque de connaissance des ressources disponibles ainsi que l’identification des ressources appropriées pour un travail. Les répondants du sondage estiment que seulement 28% des étudiants de première année arrivent préparés pour la recherche au niveau universitaire. Aussi questionnés sur le référentiel de l’ACRL, les répondants sont à 67% très familiers ou familiers avec celui-ci. De ces bibliothécaires qui sont familiers, 29% appliquent les six fondements dans leurs formations. Les 2 fondements les plus employés (par plus de 70%) sont « La recherche savante est une démarche d’investigation » et « La recherche d’information est une exploration stratégique ». Au niveau de la métacognition, le sondage a révélé que les étudiants ne comprennent pas toujours qu’ils ont besoin de ces compétences, ou comment celles-ci peuvent leur être utiles. Les répondants ont affirmé que les étudiants de première année ignorent comment reconnaître leurs besoins informationnels ou comment la recherche peut leur être utile. Il a aussi été reporté que l’excès de confiance peut rendre les étudiants moins enclins à la participation aux formations ou à la rétention de savoirs.

Hinchliffe, Rand et Collier (2018) ont réalisé une étude sur les idées fausses (misconceptions) qu’ont les étudiants de première année sur leurs CI, à l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign. À la suite d’une une analyse des réponses des étudiants à un sondage et la tenue de groupes de discussion avec la communauté de bibliothécaires formateurs, les chercheurs ont développé un référentiel d’idées fausses des CI, de sorte que ces méconnaissances puissent être corrigées par les formations. À la suite de groupes de discussion, les chercheurs ont identifié les méconnaissances les plus répandues chez les étudiants de première année. Ces derniers croient que :

  • Chaque question a une seule réponse possible
  • La recherche est un processus linéaire et unidirectionnel;
  • Google est suffisant comme seul outil de recherche;
  • Les ressources accessibles gratuitement sur internet sont suffisantes pour leurs travaux académiques;
  • Toutes les ressources de la bibliothèque sont crédibles.

Les résultats de l’étude démontrent que l’identification des idées fausses peut être utilisée pour la conception pédagogique et pour l’enseignement des CI basé sur le référentiel de l’ACRL. Les résultats révèlent également que les bibliothécaires remarquent chez les étudiants universitaires de première année des méconnaissances reliées à la bibliothèque, à l’accès à l’information, au processus de recherche et aux CI. S’attarder à ces méconnaissances dès l’entrée des étudiants à l’université leur éviterait de s’enfoncer dans des croyances erronées qui risquent d’entraver leur succès.

Doyle, Foster et Yukhymenko (2018), se sont penché sur le fossé qui se creuse entre la faculté et les étudiants quant à la compréhension des CI aux cycles supérieurs à l’Université d’État de Californie à Fresno. Selon eux, l’enseignement des CI chez les étudiants des cycles supérieurs génère souvent des compréhensions distinctes de ce que sont les CI de la part des étudiants et de la faculté. De leur côté, les professeurs s’attendent à ce que les étudiants des cycles supérieurs soient familiers avec le processus de définition d’un sujet de recherche ainsi que de trouver, accéder, et évaluer l’information reliée à ce sujet, puis synthétiser la littérature existante dans une revue de littérature. Quant à eux, les étudiants des cycles supérieurs ont l’impression de ne pas avoir la préparation adéquate et se sentent nerveux lorsqu’ils doivent accomplir ces tâches. Cet écart dans les perceptions complique la tâche des bibliothécaires pour la planification de l’enseignement des CI. Afin de parvenir à caractériser ces différences de perceptions, les auteurs ont développé l’échelle PILS (Student Perceptions of Information Literacy Skills) pour mesurer la perception des étudiants de leurs propres CI. Le PILS est basé sur les six fondements du référentiel de l’ACRL. Chaque section évalue les perceptions des étudiants sur les compétences et la compréhension des concepts. Cet instrument peut être adapté pour mesurer les perceptions de la faculté quant aux CI des étudiants.

Mesurer l’auto-efficacité (self-efficacy)

L’auto-efficacité se définit comme la croyance des personnes en leur capacité d’organiser et d’exécuter des tâches dans le but d’atteindre des objectifs désignés. Dans le contexte académique, l’auto-efficacité en CI a été associée avec le succès scolaire, et joue un rôle important au niveau de la motivation des étudiants.

Toujours en lien avec les perceptions qu’ont les étudiants de leurs CI, Michalak, Rysavy et Wessel (2017), ont évalué l’écart de confiance entre les étudiants internationaux hommes et femmes aux cycles supérieurs au Goldey-Beacom College au Delaware. Il a été démontré que ceux qui sont moins compétents non seulement surestiment leurs capacités, mais échouent aussi à reconnaître leur niveau de compétence comparativement aux autres. Les facteurs tels que le genre ou les traits de personnalité peuvent influencer la perception des étudiants de leurs CI. Avec l’augmentation de l’éducation en ligne et à distance, les étudiants auront besoin d’identifier leurs propres besoins et d’aller chercher par eux même l’aide dont ils ont besoin. Les étudiants ayant des CI peu développées risquent d’être moins enclins à chercher de l’aide ou la formation nécessaire s’ils ne sont pas capables d’identifier précisément leurs propres déficits. Il a également été prouvé que l’exactitude des perceptions des étudiants s’améliorait à la suite d’une formation des CI. Les étudiants possédant un plus haut taux d’auto-efficacité choisiront de travailler plus fort et de persévérer plus longtemps sur des tâches exigeantes. L’étude insiste sur la nécessité d’offrir des formations aux CI intégrées au cursus à tous les étudiants, afin de réduire l’influence des disparités de confiance chez ces derniers.

Mahmood (2017), de l’Université du Pendjab au Pakistan, a produit une revue systématique de l’évidence de fiabilité et validité des échelles d’auto-efficacité rapportées dans la littérature portant sur les CI des étudiants. Des 45 études retenues, 22 échelles différentes ont été recensées, et l’échelle « Information Literacy Self-Efficacy Scale » (ILES), développée en Turquie par Kurbanoglu et al (2006) est apparue comme étant la plus utilisée pour la mesure de l’auto-efficacité des CI, démontrant fiabilité et validité. Autrement, dans la plupart des cas, les échelles étaient conçues localement. L’analyse de ces études a révélé que l’évaluation des CI a été un domaine de recherche très actif au cours des dernières années, mais un constat alarmant se dresse quant à l’utilisation de mesures de qualité dans le design d’instruments de collecte des données; un grand nombre d’études ont utilisé des sondages sur l’évaluation de l’auto-efficacité des étudiants sans faire état de la fiabilité ou la validité des échelles utilisées. La démonstration de fiabilité et de validité d’une méthode d’évaluation est nécessaire pour l’achèvement d’objectifs éducationnels. Si un instrument d’évaluation ne mesure pas précisément le niveau des CI, l’intervention ne peut être conçue adéquatement. Comme les étudiants surestiment leurs compétences davantage dans les sondages d’auto-évaluation que lors de tests évaluant les compétences réelles, il y a alors une menace sérieuse d’élimination de la pratique d’auto-évaluation des CI. Une utilisation des deux types de tests est donc requise le maintien des échelles d’auto-efficacité dans le futur.

 

Références

Association of College & Research Librairies. (2016). Framework for Information Literacy for Higher Education. Répéré à : http://www.ala.org/acrl/standards/ilframework

Baggett, K., Connell, V., & Thome, A. (2018). Frame by frame: Using the ACRL Framework for Information Literacy to create a library assessment plan. College & Research Libraries News, 79(4). doi: 10.5860/crln.79.4.186

Doyle, M., Foster, B., Yukhymenko, M. (2018). Student Perceptions of Information Literacy Skills (PILS) Using The ACRL’s Framework for Information Literacy for Higher Education. Repéré à http://repository.library.fresnostate.edu/handle/10211.3/201211

Goodman, X., Watts, J., Arenas, R., Weigel, R., & Terrell, T. (2018). Applying an information literacy rubric to first-year health sciences student research posters. Journal of the Medical Library Association : JMLA, 106(1), 108-112. doi: 10.5195/jmla.2018.400

Hinchliffe, L. J., Rand, A., & Collier, J. (2018). Predictable Information Literacy Misconceptions of First-Year College Students. Communications in Information Literacy, 12 (1), 4-18. Repéré à https://pdxscholar.library.pdx.edu/comminfolit/vol12/iss1/2

Julien, H., Gross, M., & Latham, D. (2018). Survey of Information Literacy Instructional Practices in U.S. Academic Libraries. College & Research Libraries, 79(2), 179-199. doi: 10.5860/crl.79.2.179

Kurbanoglu, S., Buket, A., & Aysun, U. (2006). Developing the information literacy self‐efficacy scale. Journal of Documentation, 62(6), 730-743. doi: 10.1108/00220410610714949

Library Journal & Credo Reference. (2017). First Year Experience Survey: Information Literacy In Higher Education. Repéré à : https://s3.amazonaws.com/WebVault/research/LJ_FirstYearExperienceSurvey_Mar2017.pdf

Mahmood, K. (2017). Reliability and validity of self-efficacy scales assessing students’ information literacy skills: A systematic review. The Electronic Library, 35(5), 1035-1051. doi: 10.1108/EL-03-2016-0056

Michalak, R., Rysavy, M. D. T., & Wessel, A. (2017). Students’ perceptions of their information literacy skills: the confidence gap between male and female international graduate students. The Journal of Academic Librarianship, 43(2), 100-104. doi : 10.1016/j.acalib.2017.02.003

Rapchak, M. E. (2018). Collaborative Learning in an Information Literacy Course: The Impact of Online Versus Face-to-face Instruction on Social Metacognitive Awareness. The Journal of Academic Librarianship, 44(3), 383-390. doi: 10.1016/j.acalib.2018.03.003

Schraw, G. & Dennison, R.S. (1994). Assessing metacognitive awareness. Contemporary Educational Psychology, 19, 460-475. Repéré à : https://services.viu.ca/sites/default/files/metacognitive-awareness-inventory.pdf

À propos de corinneducharme

Bibliothécaire, École nationale d'administration publique

3 Réponses vers “Billet de veille sur l’évaluation des compétences informationnelles : pratiques émergentes et tendances actuelles”

  1. Nicole Perreault Réponse 28 août 2018 à 13:47

    Bonjour ! Merci pour votre billet fort intéressant. Je me permets de poser la question suivante :

    J’aimerais savoir s’il existe des ressources en français pour évaluer la maîtrise des compétences informationnelles des étudiants (du collégial, idéalement) pour les habiletés et objectifs suivants du Profil TIC des étudiants du collégial (http://www.reptic.qc.ca). Cette information nous sera utile pour l’octroi de badges numériques permettant d’attester la maîtrise des ces habiletés et objectifs :

    H1 Rechercher l’information : 1.1 Planifier la recherche d’information, 1.2 Effectuer la recherche d’information 1.3 Évaluer la qualité de l’information trouvée 1.4 Organiser les documents conservés.

    H3 Présenter l’information : 3.2.5 Citer ses sources conformément aux normes exigées 3.2.6 Produire une médiagraphie dans les règles.

    H5 Exploiter les TIC de manière efficace et responsable : 5.4.1 Se conformer aux droits liés à la propriété intellectuelle.

    Merci et bonne année scolaire !

    Nicole Perreault

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    • Bonjour Nicole,
      Merci pour votre commentaire.
      Malheureusement, en date d’aujourd’hui, je n’ai pas relevé de ressources en français pour évaluer la maîtrise des CI des étudiants au collégial spécifiquement. Peut-être que d’autres pourront vous éclairer à ce sujet. Bonne année scolaire à vous aussi!

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      • Bonjour Nicole,

        Le GT-PDCI lancera sous peu une enquête sur les CI auprès des étudiants du réseau UQ. Le questionnaire a été construit à partir du Référentiel de l’ACRL et sera disponible plus tard dans l’année. Il pourra peut-être vous inspirer!

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