L’information a une valeur

Synthèse de la présentation ayant eu lieu jeudi le 21 février 2019.

Christine Brodeur, M.S.I., Polytechnique Montréal et Pascal Martinolli, Université de Montréal

Le Groupe de travail de la Promotion du développement des compétences informationnelles (GT-PDCI) et le sous-comité des bibliothèques du BCI ont organisé conjointement six vidéoconférences sur les fondements du Référentiel de compétences informationnelles en enseignement supérieur de l’ACRL pour les bibliothécaires-formateurs en milieu universitaire québécois. En février 2019, une troisième vidéoconférence sur le fondement L’information a une valeur fût présentée par Christine Brodeur de la bibliothèque Louise-Lalonde-Lamarre de Polytechnique Montréal et par Pascal Martinolli, des bibliothèques de l’Université de Montréal. En voici une synthèse.

Dans la société actuelle, les technologies nous permettent d’accéder à des milliers de documents. Cet accès nous semble souvent gratuit… Semble étant le mot important de la dernière phrase. Le fondement L’information a une valeur vise à défaire cette perception de gratuité de l’information.

Dans la pratique, il est difficile de faire réaliser aux étudiants que tous les documents auxquels ils ont accès ont un coût, et que le traitement et l’accès à l’information ont aussi une valeur. Ces notions doivent être saupoudrées à travers les formations documentaires. Pascal Martinolli a partagé plusieurs phrases clés pouvant être utilisées à tout moment en formation pour aider les étudiants à comprendre ces notions. De plus, les participants à la vidéoconférence ont été invité à partager leurs propres phrases clés en lien avec le fondement.

Exemples de phrases clés pour assaisonner vos formations

  • « Installez le proxy. Pourquoi ? Beaucoup de ressources sont payantes et chères. Vos frais de scolarité servent à les payer. »
  • « Vous cherchez un chapitre dans notre catalogue ? Utilisez le titre du livre ou les éditeurs. Pourquoi ? Nous n’avons pas assez de personnel pour saisir tous les chapitres de tous les livres que nous recevons chaque jour. »
  • Variante : « Vous cherchez un article? Par son titre, ça ne donne rien ? Utilisez le nom de la revue. Pourquoi ? Nous souscrivons des abonnements mais nous n’avons pas assez de personnes pour saisir tous leurs articles. Parfois des bases de données le font pour nous. »
  • « Pourquoi apprendre à utiliser Zotero ? Pour gagner du temps de qualité à toutes les étapes de la recherche (et aller boire plus de bière/lait avec ses amis). »
  • « Ce n’est pas la peine de synchroniser vos PDF pour rester sous les 300 Mo gratuits de Zotero. Pourquoi ? La valeur ajoutée de votre base de données se trouve surtout dans votre sélection, dans votre nettoyage des références et dans votre indexation. »
  • « Pourquoi la révision par les pairs rend-elle un document scientifique ? Par le filtrage / la sélection, par la critique et par l’amélioration de la qualité. Ça prend 2 à 3 jours complets par chercheur du comité (2 à 3). »
  • « Pourquoi avoir une bonne méthode de recherche de document ? Pour ne pas perdre du temps et de l’énergie en vain. Si nous étions des elfes immortels comme dans l’œuvre de J.R.R. Tolkien, nous n’aurions pas besoin de méthode. »
  • « L’ordre des auteurs compte. Le 1er > le 2e > le 3e > … > celui qui fait le café dans le labo. Vous aussi quand vous allez collaborer soyez attentif à l’ordre de tous les membres de votre équipe, dès votre première réunion. »
  • « Pourquoi citer ? Pour montrer tout le travail de recherche, de lecture, de synthèse et de rédaction que vous avez fait. »
  • « Pourquoi citer la page ? Pour montrer que vous avez vraiment lu le livre, que vous êtes précis et rigoureux, pour la traçabilité de l’information. »
  • « Pourquoi se créer un profil OrcID ? Pour être sûr que toutes vos publications et vos citations vous sont bien attribuées et comptabilisées. »
  • « Pourquoi publier dans les meilleures revues (car toutes ne se valent pas) ? Pour être titularisé, pour avoir des fonds de recherche, pour prendre des sabbatiques dans des pays chauds,… »

Les participants ont ensuite partagé des phrases clés de leur cru, dont celles ci-dessous :

  • « Si les ressources de la bibliothèque coûtent cher parfois, c’est entre autres parce que nous ne faisons pas d’argent avec vos données. »
  • « Si Google vous offre tous ces services gratuitement, c’est qu’ils ont trouvé un moyen de se payer. »
  • « Les images d’un livre sont des œuvres distinctes et leur utilisation n’est pas gratuite(permise) sans autorisation. »
  • « Quand vous allez vous-même être auteur vous allez vouloir que vos idées vous soient attribuées. »
  • « Savoir chercher de l’information est un avantage concurrentiel sur les autres candidats sur le marché du travail. »
  •  « Les chercheurs publient en anglais pour avoir un meilleur rayonnement à l’international. »
  • « Pour vous donner accès aux bases, souvent plusieurs bibliothèques paient ensemble. »

Les différentes habiletés de ce fondement sont synthétisées dans les sections suivantes. Lors de la vidéoconférence, elles ont été présentées sous la forme de questions interactives avec le service Socrative.

Certaines habiletés qui font partie de ce fondement sont bien connues des formateurs en bibliothèque. Il s’agit :

  • Des bonnes pratiques de citation et de l’évitement du plagiat ;
  • Des différents contextes de la propriété intellectuelle ;
  • Et de la compréhension pratique du droit d’auteur pour la réutilisation de l’information (utilisation équitable, libre accès et domaine public, etc.).

Voici quelques questions qui peuvent amorcer une formation :

  • Avez-vous déjà plagié dans votre vie personnelle (carte de voeux, invitation à une fête, etc.) ? Et dans vos études ou votre vie professionnelle ? Quelles sont les différences ?
  • Trouvez-vous que les règles concernant le plagiat sont claires ? Est-il facile de savoir s’il y a eu plagiat ?
  • Dans vos institutions, les conséquences du plagiat sont-elles claires ?

Avez-vous déjà observé, suite à une recherche d’articles dans une base de données bibliographique quelle est la proportion d’auteurs provenant de pays en développement ? C’est souvent peu élevé. Saviez-vous que les contributrices à Wikipédia sont beaucoup moins nombreuses que les contributeurs? Cette sous-représentation de certains groupes ou certaines personnes dans les systèmes informationnels peut être expliqué par plusieurs facteurs, dont : économiques, barrières de langues, perception de crédibilité… Il est important de reconnaître ce phénomène, d’essayer de le comprendre, et peut-être même d’y remédier.

Il peut être intéressant de voir si les étudiants réalisent que l’accès à l’information, plus particulièrement l’accès aux revues et livres électroniques, n’est pas le même à travers le monde. Des questions comme “Votre bibliothèque est-elle abonnée à toutes les revues existantes dans le monde?” ou “Comment se comparent les abonnements de votre bibliothèque avec d’autres bibliothèques universitaires à travers le monde?” peuvent être pertinentes pour lancer une discussion sur le sujet. Le bibliothécaire-formateur devrait diriger les réflexions sur le fait que l’accès aux revues et livres scientifiques n’est pas gratuit, et que même les bibliothèques les plus riches ont rarement accès à tout ce qui est publié. La situation est souvent encore pire dans les institutions des pays en développement. C’est en partie cet enjeu d’accès à l’information qui ont poussé des gens à développer des sites illégaux, tels que Sci-Hub ou LibGen, pour permettre l’accès à l’information au plus grand nombre de personnes.

On retrouve de plus en plus d’informations personnelles sur Internet. Pour les étudiants et chercheurs des milieux universitaires, il est très intéressant de partager certaines informations pour se faire connaître de leur communauté. Il faut par contre faire des choix éclairés en lien avec la publication de ces informations. De plus, il faut être conscient que certains renseignements personnels, quoique non repérables de façon publique, peuvent être utilisés par des machines pour ajuster les résultats suite à l’utilisation d’un moteur de recherche. Pour démontrer cette réalité, vous pouvez demander aux étudiants de faire certaines recherches simples dans Google (telles que “Pièce de théâtre”, “Inondations” ou toute autres recherches simples, en lien avec le sujet des étudiants si désiré). Les étudiants doivent ensuite comparer entre eux les sites web obtenus. Le même type d’exercice peut être effectué avec les suggestions de recherche de Google : un début de recherche est suggéré aux étudiants (tel que “lunettes de …” ou “billets de …”), puis les étudiants comparent les propositions de Google. Ces petits exercices permettent de voir que l’information obtenue est différente pour chaque personne. Il est intéressant de mentionner que des bases de données scientifiques, telles que Web of Science ou Compendex, n’utilisent pas les renseignements personnels : les résultats de recherches dans ces bases de données ne sont pas affectés par les recherches précédentes.

Suggestions d’activités d’apprentissage de Pascal Martinolli

Selon Pascal Martinolli, deux enjeux intrinsèques à ce fondement sont :

  • Comment quantifier ce que nous expliquons ?
  • Comment aider les étudiants à ajouter de la valeur à leurs travaux ?

Quantifier consiste à mettre des chiffres derrière les concepts, les méthodes et des idées que nous expliquons en formation. Cette valeur numérique peut prendre la forme d’un coût financier (combien cela coûte-t-il en argent ?) ou non-financier (combien de temps cela prend-il ? combien de personnes sont-elles impliquées dans ce processus ?)

Quantifier n’est pas une habitude que nous avons, mais c’est :

  • Une excellente manière de capter l’attention et de faire retenir des éléments essentiels car notre esprit est sensible aux problèmes présentés sous la forme de coûts-bénéfices.
  • Une forme d’honnêteté. En effet, on peut rester des heures à parler d’un sujet mais tant qu’on n’a pas pris le risque de le mettre en chiffres, cela peut rester abstrait et non engagé.
  • Une ouverture au débat et à la critique. Une chose abstraite est devenue plus objective et mesurable. Les étudiants peuvent être en désaccord ou questionner le montant de cette quantification.
  • Une possibilité de comparaison et de mesure plus facile entre différents éléments.

Le jeu est une technique éducative qui manipule particulièrement bien les modélisations simples et chiffrées. Les points, les marqueurs, les comparaisons, la progression ou la régression, la récompense mesurée, le pari, etc. sont des outils pédagogiques qui favorisent la compréhension et la rétention. L’idéal serait même de transformer l’apprenant-joueur en apprenant-concepteur-de-jeu en le poussant à critiquer les mécaniques et les valeurs du jeu (cela ne m’est arrivé qu’une fois hélas).

Voici quelques exemples précis d’activités en lien avec l’idée de quantifier :

Publions & Périssons

Ce jeu de rôle a pour but de vérifier les apprentissages faits en classe inversée. Il traite du processus de publication scientifique depuis l’entrée en maîtrise jusqu’à 100 ans après la mort du chercheur (d’où le Publish and Perish). Il peut être joué en petit groupe (5-20) ou en amphi (200 et plus). Il se fait en présentiel et avec l’animation d’un formateur. Il dure environ 45 minutes mais peut être étendu selon la qualité de la rétroaction et des échanges.

Au début, chaque étudiant reçoit une feuille de score individuelle avec 3 jauges : une jauge de réputation (R) à faire monter le plus haut possible, une jauge de temps (T) pour acheter des actions et une jauge de stress (S) si l’étudiant veut acheter du temps à crédit.

Le formateur va ensuite faire défiler une centaine de diapositives. Souvent, une diapositive qui propose un choix à acheter avec du temps (T) est immédiatement suivie d’une diapositive récompensant (ou pénalisant) ce choix en réputation (R), temps (T) ou stress (S). Le formateur anime le parcours en contextualisant les situations, en expliquant les coûts et surtout en offrant une rétroaction et un échange sur les éléments présentés.

Publions & Périssons : accès et utilisation libre (CC-BY)

Foutaisomètre

Évaluer une source avec une grille d’analyse quantifiée. Chaque élément apporte ou retire du crédit à une source, mais selon une échelle numérique qui va de -5 à +5.

Foutaisomètre : accès et utilisation libre (CC-BY)

Classement des revues

Dans un TP comptant pour 10% de la note d’un séminaire de 1 crédit. M. Martinolli demande aux étudiants de :

  • Lister les 3 meilleures revues de leur discipline selon le Facteur d’impact du Journal Citation Reports.
  • Lister les 3 meilleures revues de leur discipline selon le SJR de Scimago Journal & Country Rank.
  • Vérifier que 3 autres revues qu’ils citent ont un processus de révision par les pairs avec Ulrich’s Periodical Index.

Pondération des informations

À la suite de son collègue Mathieu Thomas, dans les formations sur Google, Pascal Martinolli explique que l’algorithme PageRank a beaucoup contribué au succès du moteur de recherche. Or, ce dernier est basé sur les principes bibliométriques de la citation que Larry Page devait sûrement connaître grâce à ses parents universitaires. Le même principe vaut pour YouTube, Facebook, etc. Plus un élément est cité par d’autres éléments, plus il a de la valeur, donc plus il s’affiche en premier dans les résultats de recherche et dans les recommandations.

Une bonne manière de faire comprendre que l’information a une valeur est de l’expliquer aux étudiants. Une manière encore plus intéressante (et sûrement plus efficace) est de leur faire ajouter de la valeur à leurs travaux.

Voici quelques exemples précis d’activités en lien avec l’idée de donner de la valeur :

Feuille de personnage de progression

Dans un séminaire de mise à niveau pour cycles supérieurs, Pascal Martinolli utilise une feuille de personnage ludifiée pour mesurer la progression dans l’apprentissage des compétences informationnelles et pour mesurer leurs publications ou et leurs participations à la recherche.

Feuille de personnage du chercheur  : accès et utilisation libre (CC-BY)

Valeur ajoutée de votre Zotero

Le formateur explique aux étudiants que la valeur ajoutée de leur base de données de références se trouve :

  • Dans leur sélection ;
  • Un petit peu dans leur nettoyage des références ;
  • Presque pas dans les PDF qu’ils collectent ;

Mais qu’elle se trouve surtout dans l’indexation des références avec des marqueurs issus d’un thésaurus personnel.

  • Des marqueurs thématiques ;
  • Des marqueurs de méthode (lu, nettoyé, bibliographie analysée, etc.) ;
  • Des marqueurs d’évaluation (pas intéressant, révisé par les pairs, empirique, etc.) ;

Pascal Martinolli leur explique comment se créer un thésaurus personnel, à coller en couverture de leur cahier de laboratoire. Il leur fait aussi une démonstration à partir de ma propre base de données (2600 références, thésaurus de 300 marqueurs), pour montrer à quel point il est ensuite facile de trouver et trier l’information.

Thésaurus personnel : accès et utilisation libre (CC-BY)

 

Bonnes pratiques de sauvegarde

Le formateur explique aux étudiants comment bien prendre soin de ses données, depuis de bonnes pratiques de sauvegarde jusqu’à un plan de gestion de données de recherche. Habituellement, il présente toutes les affiches en 15 minutes, en début d’atelier pour attendre que tout le monde arrive.

Bonnes pratiques de sauvegarde : accès et utilisation libre (CC-BY)

 

Gestion d’identité

Le formateur explique aux étudiants comment bien gérer leur identité et leurs profils de chercheur en ligne. Il utilise une affiche.

Gestion d’identité et de profil : accès et utilisation libre (CC-BY)

eCockpit du chercheur

Pour expliquer que, selon leurs profils et leurs traces en ligne, les outils se comportent différemment (points 7 et 8 du Fondement), mais aussi pour leur apprendre à compartimenter leurs activités de recherche en ligne, le formateur présente une affiche pour utiliser deux navigateurs.

eCockpit bureautique du chercheur : accès et utilisation libre (CC-BY)

 

Dominique Lapierre, gestionnaire du Bureau du droit d’auteur à l’Université Laval, a présenté quelques approches qu’elle utilise lors de formations en lien avec le droit d’auteur. Que ce soit par des questions ou par la présentation d’une carte mondiale de la durée du droit d’auteur, elle démontre quelques façons d’aider les apprenants à comprendre que le droit d’auteur est un construit juridique et social. Elle a aussi partagé un exemple précis de la réutilisation, sans permission, d’une image, dans un article scientifique, permettant d’avoir une bonne discussion avec les étudiants à propos des notions d’utilisation équitable, de violation du droit d’auteur et de plagiat.

 

La vidéoconférence a permis de mettre à profit les expériences de l’ensemble des participants, avec la création d’un Padlet où chacun a pu partager des idées d’activités à faire en formation en lien avec L’information a une valeur.  

 

La valeur de l’information se présente sous plusieurs formes : argent, temps, privilèges, prestige… La valeur de l’information est aussi influencée de différentes façons, par différentes parties prenantes. Cette influence peut mener à la marginalisation de certaines sources. Chaque personne doit donc faire des choix judicieux dans l’utilisation de l’information.

 

À propos de brodeurchristine

Bibliothécaire en sciences et génie, Polytechnique Montréal

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