ORCiD: nom de code de la science ouverte

* avec la contribution d’Eve Richard, bibliothécaire, Université Laval

ORCID désigne à la fois l’identifiant unique et pérenne associé à un acteur de la recherche (individu ou entité) et le curateur de la plateforme-registre, un organisme à but non lucratif issu de la concertation de plusieurs organisations à visée scientifique (éditeurs, universités, unités de recherche). Fondé en 2012, ORCID (Open Researcher and Contributor ID) s’est gagné rapidement la réputation d’un répertoire fiable en matière de patronymes scientifiques, d’une véritable « appellation de marque ».

IDENTIFIANTS, E-RÉPUTATION, PROFILS

L’identité numérique prend contour au début des années 2000 avec l’essor des réseaux sociaux. Elle comprend l’ensemble des traces – déclaratives, comportementales, documentaires[1] – que nous laissons, délibérément ou pas, sur le Web et qui sont mixées et restituées par les moteurs de recherche. Une identité réunit donc des données visibles (contenu textuel et audiovisuel, coordonnées, etc.), ainsi que des données non-visibles (par ex. adresse IP, géolocalisation, mots de passe). Toutes ces traces ont en commun l’intervention directe du titulaire.

Avec la réputation numérique ou la e-réputation, la définition se complexifie : elle couvre aussi bien les traces directes et subjectives (personal branding), que les traces indirectes (réactions externes aux traces directes, par ex. commentaires[2]). La e-réputation repose simultanément sur des traces déclaratives – celles du producteur – et sur des traces évaluatives – celles du consommateur, pourvu qu’elles partagent le même dénominateur contextuel (plateforme, algorithme, etc.).

La notion de profil s’est d’abord fixée dans la logique computationnelle (profil d’utilisateur). Son acception bifurque lorsque le terme commence à être associé à une mécanique réputationnelle et à une finalité professionnelle. Semblable à un curriculum vitae, le profil renseigne sur les compétences du titulaire (formation, expérience, titres), ses affiliations et ses réalisations (créations, contributions, partenariats, allocations de recherche, prix et distinctions, etc.). Il est créé soit par l’intervention directe du contributeur (ex. formulaire en ligne), soit par des tiers, avec ou sans consentement de la part du contributeur. Enfin, le profil est une construction à large visibilité (le CV commun Canadien n’est donc pas un profil); il emprunte les caractéristiques de la plateforme qui le génère (ex. Researcher ID) et peut intégrer un ou plusieurs identifiants numériques.

Sans insister sur les différentes facettes des profils scientifiques, rappelons du moins pour l’instant la division entre profils commerciaux (Scopus ID, Researcher ID) et les profils indépendants (idHAL, ORCID, Google Scholar, etc.). Nous y reviendrons plus loin.

LA PRÉSENCE NUMÉRIQUE N’EST PLUS UNE QUESTION DE CHOIX

Dans une économie de plateforme, l’identité se décline au pluriel. Autant d’outils éditoriaux et collaboratifs (réseaux, forums, agrégateurs documentaires, carnets de recherche, etc.), autant de comptes et d’identifiants. Chacun est libre d’utiliser différentes déclinaisons de son nom ou même des surnoms. Combien, toutefois, sont ceux qui se préoccupent de la fiabilité, la sécurité et la pérennité des données nominatives? Combien vérifient, tout simplement, leurs comptes et profils sur une base régulière?

En contexte scientifique, la marque numérique a des répercussions professionnelles et administratives. Les relecteurs (scientifiques effectuant l’évaluation qualitative des publications) et les membres des comités académiques d’embauche se rabattent souvent sur les réseaux professionnels et même les réseaux grand public (Facebook, Twitter) en quête des traces personnelles: la présence en ligne est symptomatique pour le savoir-vivre du candidat ![3]

« Pretty much every time I review a manuscript or a grant application, I google the researchers involved (at least the lead investigators). When I can’t fnd their history, I get frustrated, generally become grumpy, and am probably less likely to give a positive review. And let’s not even go there if you’re looking for a job. Even with your CV and publications list in-hand, as a selection committee member, I will ALWAYS google you. When I find that you haven’t even bothered to put yourself on the web, chances are you won’t even make the interview list. » (Corey J. A. Bradshaw, 2013)

Tiré de : A Bouchard, « Construire son identité numérique du chercheur », 2018

L’essor du libre accès et la prolifération des pratiques éditoriales non-éthiques expliquent le souci de réglementation – nationale, régionale et internationale – en faveur de la codification et de la normalisation identitaire. Dans sa planification Horizon 2020 (2016), l’Union Européenne recommande l’attribution « des identifiants pérennes, non-propriétaires, ouvertes et interopérables (ex. : […] ORCID pour les identifiants de contributeurs et DataCite pour les identifiants de données) »[4]. Une importante mobilisation consortiale s’ensuit en Europe, en Amérique du Nord et en Australie. Mais l’encodage n’est pas une question de choix lorsqu’on en vient aux systèmes d’information documentaire : en France, ABES (Agence bibliographique de l’enseignement supérieur) créé automatiquement un identifiant IdRef pour chaque chercheur dont la thèse vient d’être déposée; IdRef permet, à son tour, l’échange des métadonnées avec les registres ISNI et VIAF[5]. Les répertoires d’autorités se multiplient et se chevauchent …

Grand nombre d’agences nationales de recherche et de bailleurs de fonds exigent un compte ORCID (voir liste) : les instituts américains de recherche en santé depuis 2013, Wellcome Trust en Grande Bretagne depuis 2015, Australian Access Federation depuis 2016, etc. Le consortium canadien d’ORCID prend forme en 2016; il regroupe actuellement 35 membres, dont trois universités québécoises. En 2017, les trois organismes subventionnaires fédéraux canadiens montaient un groupe de travail pour se pencher sur l’harmonisation des pratiques de collecte de données et la cohérence des processus opérationnels. Dans le cadre de ses travaux, une analyse de rentabilité en regard de l’ORCID est menée au début de 2018, suivie d’une validation de principe avec l’environnement test[6]. Ce mouvement de concertation gagnera éventuellement tous les acteurs de la recherche soucieux d’augmenter le rendement administratif et d’encourager la diffusion responsable des données scientifiques.

Enfin, les éditeurs les plus réputés conditionnent la soumission des manuscrits à une authentification ORCID : PLoS, IEEE, Science, The Royal Society, Wiley[7]; Springer Nature encourage l’association des identifiants ORCID non seulement à des articles, mais à des chapitres de livres et des actes de conférence aussi[8].

ORCID, JUSTE UN IDENTIFIANT PARMI D’AUTRES?

Les identifiants sont la panacée du Babel scientifique à l’heure du numérique.

Plus forte la présence en ligne, plus pressant le besoin de codifier. On codifie les publications (DOI), les données de recherche (DataCite), et finalement les acteurs de la recherche. Les identifiants-chercheur ont invariablement pour fin la désambiguïsation des noms d’auteurs et l’attribution correcte des publications; ils sont générés par des systèmes pivot et associés à des données en provenance des plateformes internes ou tierces.

Il existe des profils-plateforme associés à des corpus bibliographiques (Scopus Author ID, Researcher ID) ou à un organisme (ACM Author ID). Ils peuvent être générés automatiquement au fur et à mesure que des nouvelles publications sont indexées (ex. Scopus d’Elsevier, ACM id), ou créés et alimentés par l’auteur même (Researcher ID). Mais chacun de ces répertoires d’autorités s’apparie à un répertoire documentaire; il n’est conséquemment qu’un reflet partiel de l’activité d’un chercheur. De plus, ces initiatives sont privées et commerciales; leur accès est limité aux abonnés, pour le prix fort d’ailleurs!  Malgré leur valeur ajoutée (indices d’usage), les plateformes mentionnées restent hors contrôle institutionnel.

Il y a des profils-plateformes publics et gratuits, soit disciplinaires et internationaux (ArXiv id), soit multidisciplinaires et nationaux (HAL id). Ils sont créés au bon gré du chercheur qui a, de plus, le choix d’accepter l’échange des données entre différents réservoirs.

Il existe ensuite des référentiels d’autorités à destination des bibliothèques : ISNI (International Standard Name Identifier), IdRef (Identifiants et Référentiels), VIAF (Virtual International Authority File); les notices d’auteur sont produites sans consentement ni intervention de la part des personnes répertoriées. Elles ne comptent pas vraiment comme profils, mais peuvent enrichir ces derniers avec des données liées.

ORCID (Open Researcher & Contributor) est une norme internationalement reconnue et largement adoptée. Plus de 5 mil. chercheurs et organisations sont enregistrés avec ORCID[9]. Cette reconnaissance prend sa source dans les avantages suivants :

  • ORCID est une solution libre, non-propriétaire (l’utilisation du registre est gratuite; l’infrastructure, le logiciel et le personnel sont payés à même les frais d’intégration dans les systèmes institutionnels).
  • ORCID n’est pas le pendant d’une seule plateforme documentaire, ni un simple référentiel d’autorités.
  • ORCID ne cherche à pas à se substituer à d’autres systèmes de codage existants, mais bien d’interagir avec eux : il communique avec Scopus, ResearcherID, Faculty of 1000. Il permet l’agrégation des données provenant de CrossRef et de DataCite, de FigShare et de Dryad. Il peut être intégré, via des applications spécifiques, aux dépôts institutionnels (DSPace) ou disciplinaires (Medline). Cette large interopérabilité est un de ses principes fondateurs : sa mission est de faciliter la mise en relation de tous les produits de la recherche – articles, livres et autres documents, données de recherche, logiciels, révision et détection du plagiat, études cliniques, brevets, subventions de recherche, etc.[10]
  • ORCID relie de manière univoque auteurs et publications; mais il n’est pas attribué qu’aux personnes, il sert à identifier des lieux, des activités, des entités collectives, des éditeurs, des logiciels, distinctions et prix, etc. Le fait d’être assigné à des créations non-publiées ou sans équivalent électronique le rend particulièrement utile en humanités (mise en valeur des collections d’art, par ex.), en génie (accréditations, affiliations) et dans le domaine pharmaceutique (brevets, financement, conflits d’intérêts). En somme, ORCID est un web sémantique concentré, appliqué à l’écosystème académique : il établit la connexion entre des entités et des attributs au-delà des frontières disciplinaires, institutionnelles, nationales et techniques (alignement avec toutes les structures et systèmes pertinents). Prenons comme cas de figure l’interfaçage d’ORCID avec CrossRef : ORCID reçoit automatiquement les mises à jour au fur et à mesure que de nouvelles publications voient le jour. Conséquemment, les établissements ayant souscrit aux API d’ORCID reçoivent simultanément ces mises à jour.
  • Tout comme pour Scopus, les corrections et les alignements peuvent être faits par les contributeurs (chercheurs) et/ou par des tiers (bibliothèques ou autres).
NOTE. On ne s’arrêtera pas ici sur ResearchGate, Academia et LinkedIn puisque ceux-ci ne sont pas des répertoires scientifiques stricto sensu mais bien des réseaux sociaux propriétaires développés dans le dessein d’assurer la visibilité et la mise en contact des scientifiques; or le réseautage rime davantage avec éphémérité et non avec préservation ou normalisation. Ces profils, aussi populaires qu’ils soient, restent semi-formels. Notre interprétation risque de ne faire l’unanimité, mais elle est du moins conséquente avec les dispositions de la loi tripartite canadienne sur le libre accès.

QUID DES BIBLIOTHÈQUES EN MILIEU DE RECHERCHE ?

L’autorité informationnelle est la pierre angulaire des compétences numériques. L’influence et la crédibilité d’un chercheur au sein d’une communauté peuvent être cernées plus facilement lorsque fondées sur un profil fiable, sur un système d’identification non-ambiguë, reconnu mondialement. L’intégrité est un enjeu de taille de l’édition savante, notamment du fait de l’accroissement rapide du nombre de publications et de la prolifération des éditeurs douteux. De nombreuses bibliothèques ont adopté dès lors une approche prospective, redoublant la mise en œuvre des politiques en faveur du libre accès par des initiatives vouées à une codification nominale contrôlée.

L’identité numérique, lorsque prise en charge par le chercheur même, a pour principal objectif la visibilité immédiate de ses activités et productions (voir, par ex., les réseaux sociaux professionnels). La réputation qui en découle risque d’être subjective et son effet de courte durée. Lorsqu’elle est prise en charge par l’institution d’affiliation, l’identification numérique du personnel de la recherche vise la neutralité, la normalisation et la pérennité des données. Le profil est alors fiable, actuel et complet, ses effets de longue haleine. Il n’y a pas de service plus qualifié et plus concerné par la curation de profils scientifiques que celui documentaire : la bibliothèque est un acteur neutre et, en même temps, une partie prenante du processus de la recherche.

Au Québec, trois universités seulement adoptent présentement ORCID : Laval, Concordia et McGill. Dans les trois cas, la bibliothèque assume la promotion et le support auprès des chercheurs, dans un souci d’accompagnement de carrière et de valorisation optimale des résultats de la recherche.

Dix-sept établissements d’enseignement québécois s’apprêtent à fusionner leurs systèmes de gestion de collections. La plateforme unifiée entraînera éventuellement la mutualisation des services existants, ainsi que la mise en place concertée des services nouveaux, comme la gestion des données de recherche et la gestion des identités[11]… Cette mutation offre l’opportunité de revisiter la notion même d’« identité », voire de préciser les contours de l’identité-usager et de l’identité-chercheur. Par ailleurs, le dossier ORCID aurait avantage à avancer simultanément et en tandem avec celui des données de recherche : les jeux de données pourraient être, au gré des identifiants, mis en relation avec leurs créateurs, ainsi qu’avec les structures et les produits connexes.

À l’heure de la mondialisation de la recherche, chercheurs et spécialistes de l’information peuvent, enfin, unir leurs efforts grâce à des solutions numériques durables, au bénéfice de la science ouverte et d’une gestion académique efficace.

__________________________________________

[1] Louise Merzeau, « De la trace à la présence numérique : (re)construction de l’identité … », (conférence, 30 janvier 2014), https://www.slideshare.net/louisem/de-la-trace-la-prsence-numrique-reconstruction-de-lidentit-sur-les-rseaux.

[2] Olivier Ertzscheid, Qu’est-ce que l’identité numérique ? : Enjeux, outils, méthodologies, Encyclopédie numérique (Marseille: OpenEdition Press, 2013), http://books.openedition.org/oep/332

[3] Jeanine Martelli et Anne-Sophie Grenier, « L’identité numérique. Visibilité et e-réputation sur le Web », 2013, 39 p., https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01137142

[4] Commission Européenne, Direction Générale de la Recherche et de l’Innovation, « Lignes directrices pour le libre accès aux publications scientifiques et aux données de la recherche dans Horizon 2020 » (INIST-CNRS, France, 25 août 2016), http://openaccess.inist.fr/IMG/pdf/lignes-directrices_libre-acces_horizon2020_version3.1_tr-fr.pdf.

[5] Laurence Bizien, « Je ne suis pas un numéro ! Pourquoi se créer un identifiant chercheur … », Billet, Lab & doc (blog), 3 juillet 2017, https://labedoc.hypotheses.org/613.

[6] Ces informations proviennent de la présentation du directeur du projet, Derek Trevorrow, au webinaire organisé par ORCID-CA le 30 octobre 2018.

[7] https://orcid.org/blog/2016/01/07/publishers-start-requiring-orcid-ids

[8] https://www.springernature.com/gp/researchers/orcid

[9] Selon les données d’UNESCO, il existait environ 8,5 mil. chercheurs au monde en 2015. Voir UNESCO. Researchers by formal qualifications, sector of emplyment and sex. https://en.unesco.org/node/252273.

[10] Martin Fenner et Laure Haak, « Unique Identifiers for Researchers », in Opening Science: The Evolving Guide on How the Internet Is Changing Research, Collaboration and Scholarly Publishing, éd. par Sönke Bartling et Sascha Friesike (Cham: Springer International Publishing, 2014), 293‑96, https://doi.org/10.1007/978-3-319-00026-8_21

[11] Voir projection cartographique de la PPS dans la présentation de Guylaine Beaudry et Benoit Séguin au Congrès des professionnels de l’information à Montréal, le 13 novembre 2018, p. 15 : http://congrescpi.com/wp-content/uploads/2018/11/CPI_actes_PPS_2018-11-13.pdf

À propos de Emanuela Chiriac

Bibliothécaire à l'Université du Québec en Outaouais, responsable des collections en psychologie, sciences sociales et travail social ; centres d'intérêt: bibliométrie, édition scientifique et droit d'auteur.

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