La production de savoir résulte d’échanges

Synthèse de la présentation du 25 avril 2019.

Marilou Bourque et Pascal Martinolli, bibliothécaires à l’Université de Montréal

Le Groupe de travail de la Promotion du développement des compétences informationnelles (GT-PDCI) et le sous-comité des bibliothèques du BCI ont organisé conjointement six vidéoconférences sur les fondements du Référentiel de compétences informationnelles en enseignement supérieur de l’ACRL pour les bibliothécaires-formateurs en milieu universitaire québécois. En avril 2019, une cinquième vidéoconférence sur le fondement La production de savoir résulte d’échanges fût présentée par Pascal Martinolli et Marilou Bourque des bibliothèques de l’Université de Montréal. En voici une synthèse.

 

Le fondement en résumé

Pour faire avancer la science, il faut que les idées soient débattues et que les faits soient interprétés sous la forme d’échanges structurés. Il se peut qu’il n’y ait pas qu’une réponse unique et définitive. Pour être le plus objectif possible, il est important de recueillir et de confronter le plus de points de vue possible. Quelles que soient les formes d’échanges savants, il est très important de citer précisément ses sources pour appuyer ses idées. En bref, pour que l’échange soit efficace, ils doivent parler le même “langage” et suivre les mêmes règles. Ce fondement fait état des règles de base à suivre afin de s’assurer d’un débat scientifique de qualité.

Qu’arrive-t-il quand certains ne suivent pas les règles ? Prenons l’exemple très caricatural du débat sur la Terre est sphérique VS la Terre est plate. Les défenseurs de la théorie de la Terre plate se regroupent en société, publient des textes, se font voir dans les nouvelles, mais ils ne suivent pas les règles du débat scientifique : négation des faits et des interprétations passées, manque de crédibilité des auteurs, méthodologie de recherche absente, manque de crédibilité des sources, etc. Dans ce cas-ci, c’est plutôt simple de détecter les faux scientifiques, mais pour d’autres sujets, c’est plus complexe.

Prenons maintenant l’exemple d’un débat entre scientifiques : la vaccination. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclare que l’hésitation à la vaccination est un des 10 risques majeurs pour la santé mondiale en 2019. Et d’un autre côté, nous avons un article de La Presse qui fait état d’un professeur de l’UQTR qui multiplie les propos anti-vaccins. Les collègues de ce professeur lui reprochent d’ailleurs de ne pas suivre les règles du débat scientifique : propos et articles partagés uniquement sur Facebook, manque de variété des sources axées sur un seul point de vue très négatif sur les vaccins.

Le fondement semble surtout axé sur le débat entre scientifiques, mais nous croyons utile aussi de réfléchir aux débats qui ont lieu sur la place publique : quel rôle les chercheurs doivent jouer face aux pseudo-sciences? Quel est notre rôle à nous qui faisons de la formation en bibliothèque? Il est primordial que les scientifiques dénoncent publiquement les imposteurs du débat scientifique et que les responsables des bibliothèques participent à l’éducation de leurs publics en leur expliquant pourquoi.

En résumé, les habiletés et dispositions font état des règles à suivre pour des échanges scientifiques de haut niveau. Parmi ces règles, nous avons vu l’importance de bien citer ses sources, varier ses échanges savants sous divers formats crédibles, bien identifier les obstacles aux échanges savants et de trouver les bons moyens de les contourner (accès à la documentation, langue, etc.), participer au débat en portant un jugement critique, bien choisir et évaluer ses sources, bien connaître les fondements de sa discipline par l’entremise des sources tertiaires, en plus de tenir compte de différents points de vue sur une question donnée.

 

Changement de paradigme

Pour l’évaluation des sources, la manière traditionnelle utilisée est de déceler les défauts et les qualités visibles d’un document (papier ou électronique, auteur, éditeur, contenu, etc.). Cependant, il faut éduquer les étudiants à évaluer la partie invisible de chaque document : la manière dont le document a été conçu, produit, sélectionné, corrigé et diffusé. Ce ne sont pas des éléments explicites et c’est à nous d’expliquer les différents types de production d’information.

Exemple d’intervention possible : un jeu de rôle de classe sur les processus de publication

Durée : 5-10 minutes

Matériel requis : 1 formateur + 6 étudiants + 1 feuille de papier

But : faire comprendre la différence entre une publication dans un quotidien/magazine et la publication dans une revue à comité de lecture.

Déroulement :

Partie 1 (quotidien) : le formateur joue le rôle du rédacteur en chef d’un quotidien ou d’un magazine. Deux étudiants jouent un journaliste du quotidien et un journaliste pigiste sur une enquête de fond. Le formateur reçoit les articles (symbolisés par une feuille de papier) de chacun et décide seul de ce qui est publié, sélectionné, puis coupé.

Partie 2 (éditeur de revue savante) : un étudiant joue un jeune chercheur. Il envoie un article à l’éditeur d’une revue savante joué par le formateur. D’autres étudiants jouent les experts du comité de lecture. L’article circule avec le formateur qui anonymise, arbitre, rejette, accepte, en collaboration avec le comité de lecture.

Un processus qui était jusqu’alors presque invisible aux étudiants devient explicite, clair et vivant. Très souvent les questions suscitées illustrent bien la compréhension des étudiants (limites de chacun des processus, fraudes possibles, etc.).

 

Participation active aux différents modes d’échanges savants

Le meilleur moyen de faire prendre conscience aux étudiants des différents modes de publication est de les inciter à participer aux échanges savants. À nous de leur expliquer les fonctions, valeurs, limites et mode de fonctionnement des différents types d’échanges :

  • articles révisés par les pairs
  • présentations de conférence
  • affiches de communication savante
  • billets sur des blogues
  • billets sur des réseaux sociaux
  • conversations publiques (Bar des sciences, table ronde, etc.)
  • capsules vidéo en ligne
  • aide à des revues systématiques
  • dépôt institutionnel
  • plateformes de partage de matériel pédagogique
  • contributions à Wikipédia, WikiCommons ou Wikidata…

Des questions reviennent souvent de la part de jeunes chercheurs qui peinent à gérer leurs profils sur les médias sociaux, à évaluer le temps à investir à diffuser leurs recherches par ces canaux, à juger clairement leurs droits d’auteur et l’intérêt du libre accès et de la « science ouverte » (un pléonasme, puisque la science doit être ouverte).

Incubablog - Programme de 12 semaines pour démarrer un blogue sur un sujet de recherche

Figure 1 : Incubablog : un programme en 12 semaines pour débuter un blogue sur son sujet de recherche.
(Source :
https://github.com/pmartinolli/TM-incubablog)

 

 

Détecter les conférences prédatrices

Figure 2 : Repérer une conférence prédatrice « Should I Stay or Should I Go ?  ».
(Source : https://github.com/pmartinolli/TM-Scamference)

 

 

Hiérarchie du savoir

Ou la reconquête des sources tertiaires! Le besoin des étudiants est de trouver des articles pour leurs travaux. Nous répondons très bien à ce besoin. Or, on remarque que très souvent, on oublie toutes les étapes de mise en bouche avant de trouver et digérer ces articles : les sources tertiaires. Parfois, nous les nions complètement alors qu’elles font partie de l’écosystème documentaire des étudiants. Je pense ici à Wikipédia, la plus consultée des sources qui elle s’avère une source tertiaire.

Wikipedibus : Comment devenir un wikipédien en 5 étapes

Figure 3 : Wikipédibus, un parcours autodirigé pour devenir wikipédien.
(Source :
https://github.com/pmartinolli/TM-Wikipedibus)

 

Parfois, nous n’insistons pas assez sur la valeur de consulter des sources tertiaires AVANT toute autre démarche (un travail de session ou une thèse).

3 suggestions d’activités de formation sur les sources tertiaires:

1)    Faire en sorte que le premier exercice pratique soit de repérer une encyclopédie spécialisée ou disciplinaire, avant même de chercher des livres ou des articles. Exemple : lancer une recherche avec votre discipline AND encyclo*.

2)    Faire une visite de la bibliothèque et lors du passage devant les encyclopédies spécialisées, en ouvrir une et pointer un article synthétique, avec bibliographie.

3)    Lors d’ateliers de contribution à Wikipédia dans votre bibliothèque, rassembler un charriot avec plein de dictionnaires et d’encyclopédies spécialisées sur le sujet de l’atelier.

 

Partage d’expériences

1.   Service d’aide à la rédaction d’articles scientifiques (SARA)

Félix Langevin-Harnois et Prasun Lala de l’ÉTS nous ont présenté leur service d’aide à la rédaction d’articles scientifiques (SARA). Ce service a été créé dans le but d’encadrer les étudiants dans le processus de rédaction parfois complexe pour eux et de briser leur isolement. Concrètement, SARA c’est “une communauté scientifique d’étudiants, de chercheurs et d’experts de l’ÉTS qui s’entraident dans la rédaction, la publication, et la communication scientifique grâce à des ressources, des activités, et le partage d’expériences.”

Lien vers la présentation :
Production savoirs résulte d’échanges – SARA.pdf

 

2.   Conception d’affiches scientifiques avec l’ACFAS

Catherine Séguin (UQO) et Michel Courcelles (INRS) ont travaillé à développer de la documentation sur la conception d’affiches scientifiques avec l’ACFAS. Ils se sont questionné sur les éléments clés d’une affiche afin de produire des gabarits et de la documentation pour encadrer les étudiants dans la création de leurs affiches.

Lien vers la documentation :
http://ptc.uquebec.ca/affiche/contenu-dune-affiche

 

Mise en commun d’activités

Comme à chaque vidéoconférence, nous avons recueilli vos idées de formation en lien avec les habiletés du fondement La production de savoirs résulte d’échanges :

 

Padlet du fondement 5

Figure 4 : Extrait du tableau Padlet.
(Source :
http://tinyurl.com/fondement5)

 

Conclusion

La production de savoirs résulte d’échanges structurés mais peu visibles : à nous de les expliciter clairement dans leurs fonctionnements et dans leurs buts. De nos jours, tout le monde veut prendre part au débat scientifique, mais la qualité du débat n’est pas toujours au rendez-vous. Nous pouvons faire une différence et former les chercheurs de demain à prendre la place qui leur revient, à construire leurs connaissances en suivant des principes rigoureux, pour ensuite faire connaître leurs idées sous différents formats et ainsi faire évoluer la science.

Dans votre pratique professionnelle, nous vous invitons à partager vos bonnes pratiques, vos documents, ainsi que vos recherches. Les formats de fichiers ouverts sont un plus. Le mouvement des dépôts de ressources libres s’en vient pour le plus grand bénéfice de tous. Le fait de vous exposer, de vous ouvrir à la critique et à la collaboration va augmenter votre impact sur les compétences informationnelles de vos usagers et du bien commun.

Dans votre vie personnelle, nous vous recommandons de bloguer (ex. : blogue Jeux de rôle sur table de Pascal), “wikipédier”, publier, discuter (ex.: Pascal vous invite à discuter sur le rôle des bibliothèques dans le mouvement anti-vaccins), sur les sujets qui vous intéressent pour vous confronter aux différents processus de publication. Il est possible d’étudier sérieusement même des sujets peu sérieux. Ces bac-à-sable vont vous rapprocher du quotidien de nos chercheurs. Ce que vous en retirerez pourra même enrichir votre pratique professionnelle (job crafting).

 

Références

Groupe de travail PDCI de l’Université du Québec. (s.d.). Contenu d’une affiche | Affiche scientifique. Repéré 17 juillet 2019, à http://ptc.uquebec.ca/affiche/contenu-dune-affiche

La production de savoir résulte d’échanges. (s.d.). Padlet. Repéré 16 juillet 2019, à https://padlet.com/marilou_bourque/y83xz3p29tcy

Langevin-Harnois, F. et Lala, P. (2019, 25 avril). SARA – Service d’Aide à la Rédaction d’Articles – Un service d’aide à la communication scientifique pour les étudiants.

Martinolli, P. (2019a, 25 avril). Repérer une conférence prédatrice « Should I Stay or Should I Go ?  ». Repéré 16 juillet 2019, à https://github.com/pmartinolli/TM-Scamference

Martinolli, P. (2019b, 16 mai). Incubablog : un programme en 12 semaines pour débuter un blogue sur son sujet de recherche. Repéré 16 juillet 2019, à https://github.com/pmartinolli/TM-incubablog

Martinolli, P. (2019c, 16 mai). Wikipédibus, un parcours autodirigé pour devenir wikipédien. Repéré 17 juillet 2019, à https://github.com/pmartinolli/TM-Wikipedibus

Martinolli, P. (s.d.-a). Jeux de rôle sur table | Recherche, carnet de veille & collection bibliographique. Repéré 16 juillet 2019, à https://jdr.hypotheses.org/

Martinolli, P. (s.d.-b). Ma bibliothèque est vaccinée. Repéré 16 juillet 2019, à https://mabibliothequeestvaccinee.blogspot.com/

Mercure, P. (2019, 12 avril). Un professeur de l’UQTR multiplie les propos anti-vaccins. La Presse. Repéré à https://www.lapresse.ca/actualites/sante/201904/11/01-5221890-un-professeur-de-luqtr-multiplie-les-propos-anti-vaccins.php

Organisation mondiale de la santé (OMS). (s.d.). Dix ennemis que l’OMS devra affronter cette année. Repéré 16 juillet 2019, à https://www.who.int/fr/emergencies/ten-threats-to-global-health-in-2019

The Flat Earth Society. (s.d.). The Flat Earth Society. The Flat Earth Society. Repéré 17 juillet 2019, à https://www.tfes.org/

À propos de Pascal Martinolli

Bibliothécaire à l'Université de Montréal, responsable de la formation à l’utilisation de l’information à la Bibliothèque des lettres et sciences humaines

2 Réponses vers “La production de savoir résulte d’échanges”

  1. Après lecture un seul mot me vient à l’esprit , fierté ,

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