Le jeu sérieux à l’université

Introduction

En 2013, le Groupe de travail de la promotion du développement des compétences informationnelles (GT-PDCI) du réseau de l’Université du Québec s’est intéressé au concept de jeu sérieux à l’université. Le concept intéresse de plus en plus le monde de la pédagogie et est souvent abordé comme étant prometteur. Un sous-comité a donc été créé afin d’évaluer la pertinence de l’utilisation de jeux sérieux en contexte universitaire.

Les objectifs étaient les suivants :

  • effectuer une revue de littérature sur les jeux sérieux, afin de répertorier des exemples de jeux sérieux et de faire un inventaire des initiatives en université;
  • dresser un comparatif des différentes possibilités de développement technologique;
  • définir les objectifs du jeu sérieux sur la culture de l’information selon divers scénarios (définition des habiletés/compétences à mobiliser, du niveau d’intervention et des ressources nécessaires au développement du projet);
  • proposer un ou plusieurs modèles (projets de jeu) de jeu sérieux.

Le présent article est un résumé du qui a été déposé au GT-PDCI cette année.

Définition et distinctions

Nous avons repéré une panoplie de définitions qui avaient pour objectif de décrire ce qu’est un jeu sérieux. À travers ces idées, trois concepts étaient récurrents, soit :

  • l’aspect pédagogique;
  • le support technologique;
  • l’aspect ludique ou divertissant.

À partir de ces trois éléments, nous avons pu élaborer une définition synthétisée de ce qu’est un jeu sérieux, soit « un jeu dont la vocation première est pédagogique et qui utilise des mécanismes ludiques dans un contexte informatique » (Gagnon-Mountzouris, Lemieux et Pouliot, 2016).

Différentes catégories de jeux sérieux

Il existe plusieurs types de jeux différents. Le tableau suivant synthétise les différentes catégories de jeu sérieux, en fournissant une description abrégée et un exemple pour chacune des catégories.

Tableau 1 – Catégories de jeu sérieux[1]

Catégorie Description Exemples
Les jeux ludo-éducatifs Ce sont des initiatives éducatives avec un aspect ludique, divertissant. Les capsules Question de bon sens!

http://questiondebonsens.uquebec.ca/.

Les campagnes de sensibilisation ludiques Développer de nouveaux comportements ou d’autres visions du monde chez le joueur (collaboration plutôt que compétition, etc.)

 

Le jeu 2025 Ex Machina

http://www.2025exmachina.net/jeu.

 

Les simulations Jeux dont l’objectif est d’étudier un phénomène à partir d’une reproduction d’un système réel. Le jeu Pulse

http://www.journaldunet.com/solutions/emploi-rh/selection/10-serious-games-pour-seformer-reellement/sante-une-simulation-en-or.shtml.

 

Les jeux de rôles Jeux ayant pour objectif le développement des savoir-être adaptés à certaines tâches : service à la clientèle, recherche d’emploi, etc. Un étudiant dans la peau d’un ingénieur en milieu de travail impliqué dans la recherche d’information et qui fait face à une situation de plagiat.
Les jeux de recherche Jeux qui « permettent aux milieux scientifiques de faire collaborer une certaine communauté d’amateurs à leurs recherches, dans des domaines comme l’astronomie, la sociologie, la biologie, etc. » (Loisier, 2015, p.16). Jeu avec un défi à résoudre de façon collaborative qui inclurait la définition d’un algorithme de recherche d’information générant le plus de résultats.

Jeux sérieux VS gamification

Tout comme le jeu sérieux, nous avons analysé plusieurs définitions de la gamification afin d’en synthétiser une définition. La gamification est donc « une façon de motiver un individu à une tâche à l’aide de mécaniques similaires à celles que l’on retrouve dans le jeu » (Gagnon-Mountzouris, Lemieux et Pouliot, 2016).

À la différence du jeu sérieux, où celui-ci est créé au départ et dans son entièreté à divertir et à développer des apprentissages, la gamification vise à ajouter une dimension ludique à des tâches déjà existantes qui pourraient être perçues autrement comme des corvées.

Un exemple souvent observé est celui de trophées ou badges qui sont remis à la personne qui effectue un certain nombre de tâches. La gamification peut être beaucoup plus que ça, mais cette mécanique demeure représentative de ce concept et ce qu’il permet de provoquer sur le plan de la motivation de l’étudiant.

Les badges numériques pourraient être un exemple de gamification, tout dépendant de son utilisation. La dimension ludique doit être présente pour que cela soit considéré comme de la gamification.

Pertinence du jeu sérieux à l’université

Dans le cadre de cet exercice, nous avons identifié trois principaux éléments permettant de confirmer la pertinence du jeu sérieux à l’université.

1. Aspect pédagogique : motivation de l’étudiant

Pourquoi les jeux ont autant la cote? Parce qu’ils amusent! Je ne vous apprendrai rien aujourd’hui si je vous dis que les compétences informationnelles ne sont pas perçues comme la quintessence du plaisir chez l’étudiant moyen. Elles sont souvent associées à la méthodologie (ce qui n’est pas faux), et la méthodologie n’a pas tellement la cote. Apporter un aspect ludique à cette matière ne pourrait que contribuer à leur motivation; motivation qui leur permettra de franchir la barrière de la réticence à l’apprentissage pour qu’ils puissent découvrir à quel point cette matière peut leur être utile et peut leur sauver du temps.

2. Changement de la conception de l’apprentissage universitaire

Le jeu possède une dimension interactive qui permet de maximiser l’efficacité de certains types d’apprentissages, notamment sur le plan de la curiosité et de la créativité. L’univers de la pédagogie, à l’aide de ses technopédagogues, s’efforce d’adapter les mécaniques d’apprentissage aux nouvelles possibilités offertes par la technologie. Ce qui porte à me demander : existe-t-il des ludopédagogues?

L’obstacle principal de ce point, c’est que l’image intuitive du jeu entre en contradiction naturellement avec l’image de l’université (plaisir, frivolité, improductivité VS sérieux, rigueur, expertise). Le défi serait donc de démontrer qu’il y a moyen, à l’aide de jeux intelligents et bien construits, d’avoir du plaisir sans sacrifier rigueur et sérieux.

3. S’adapter aux générations d’aujourd’hui

En dehors de la technologie qui change, les êtres humains changent eux aussi. Une nouvelle génération cogne à nos portes depuis quelques années déjà : les natives, qui constituent tous les jeunes nés après 1995, ou de manière plus générique qui n’ont pas connu le monde avant Internet.

Des théories sont élaborées par rapport aux adaptations du cerveau des jeunes de cette génération avec ces technologies. C’est le cas notamment du connectivisme :

Le connectivisme est une théorie de l’apprentissage développée par George Siemens et Stephen Downes et basée sur les apports des nouvelles technologies. Elle s’appuie sur leur analyse des limites du béhaviorisme, du cognitivisme et du constructivisme afin d’expliquer les effets de la technologie sur la façon dont les gens vivent, communiquent et apprennent (Wikipédia).

Si la nouvelle génération est mieux adaptée aux outils technologiques, le jeu sérieux peut s’avérer une piste de solution intéressante pour favoriser l’efficacité des apprentissages chez l’étudiant.

Modèles d’intégration

Il existe plusieurs moyens d’intégrer des jeux sérieux à nos pratiques pédagogiques. Nous avons relevé trois principaux scénarios, que nous avons résumés dans ce tableau, avec pour chacun ses avantages et ses inconvénients.

Tableau 2 — Résumé des avantages et inconvénients des trois scénarios proposés [2]

 Scénarios proposés Coût Rapidité de
développement
Pédagogie Plaisir
Scénario 1 – Utilisation de jeux déjà existants
à intégrer à la pratique pédagogique en classe
++ + +++
Scénario 2 – Création de jeux spécifiques pour
l’utilisation en formation documentaire
+++ +++ ++
Scénario 3 – Intégration de mécaniques de jeux
(ludification) dans des activités de formations
++ ++ +

Si l’idée d’intégrer un jeu sérieux à vos pratiques vous intéresse, il est possible de le faire, peu importe les contraintes avec lesquelles vous avez à jongler. En fonction de la situation, chacun des scénarios peut s’imposer comme étant le meilleur.

En conclusion

Bon, assez parlé. Ce qu’il reste à dire se résume dans le tableau suivant. Celui-ci présente à la fois les éléments à considérer qui pourraient agir comme obstacle dans vos initiatives de jeu sérieux que les avantages à développer ce moyen pédagogique.

Tableau 3 – Principaux points à considérer dans une initiative de jeu sérieux

Défis et enjeux Forces et leviers
· Créer des jeux de qualité.

· Investir temps et argent.

· Revoir notre conception de l’apprentissage comme étant quelque chose de plaisant.

· Avoir des formateurs à l’aise avec la technologie.

· Faire un retour pertinent en classe.

· Comprendre nos usagers.

· Avoir suffisamment d’ordinateurs.

· Avoir du soutien technologique.

· Être en mesure de faire de la gestion de classe.

· Des méthodes pédagogiques adaptées à leur cerveau.

· Plus d’apprentissage et de plaisir.

· Plus de motivation et d’engagement de la rétroaction rapide et la chance de prendre des risques.

· Apprendre en résolvant des problèmes par essais/erreurs.

· Reporter les connaissances en situation réelle permettant ainsi de les transférer en compétences.

· Structurer des éléments abstraits en situations concrètes.

· Stimuler la curiosité et la créativité.

· Contrôler les apprentissages par la hiérarchisation des niveaux.

· Encourager la prise de décision et le travail multitâche.

Cependant, une mise en garde : gare au compromis! Dans ce type d’initiative, il est souvent mieux de ne rien faire du tout que de faire quelque chose qui n’est pas terminé, ou qui « sent le compromis », car cela pourrait se retourner contre vous. Les bibliothèques sont souvent associées dans la perception des jeunes à des lieux austères, sévères, voire même périmés. Si vous vous lancez dans un jeu sérieux esthétiquement moyen par manque de budget, cela peut renforcer bien malgré vous l’image de vétusté que peuvent projeter les bibliothèques aux yeux de nos jeunes utilisateurs, et ainsi vous faire de la publicité négative.

Pour finir, est-ce que vous diversifiez vous pratiques à l’aide de mécaniques ludiques? Si oui, quelles sont-elles?

Bibliographie

Connectivisme. (n. d.). Dans Wikipédia. Repéré le 31 mai 2016 à https://fr.wikipedia.org/wiki/Connectivisme.

Gagnon-Mountzouris, Vicky, Lemieux, Marie-Michèle et Pouliot, Jean-Philippe. (2016). Rapport sommaire sur la pertinence du jeu sérieux à l’université. Réseau de l’Université du Québec. Repéré le 7 juin 2016 à http://ptc.uquebec.ca/pdci/system/files/documents/administration/rapportjeuserieuxpdci.pdf.

Loisier, Jean. (2015). Étude sur l’apport des jeux sérieux pour la formation à distance au Canada francophone. Réseau d’enseignement francophone à distance du Canada. Repéré le 7 juin 2016 à http://www.refad.ca/documents/Etude_Jeux_serieux_en_FAD.pdf.

[1] Tiré du Rapport sommaire sur la pertinence du jeu sérieux à l’université. La forme du contenu a été modifié, mais le contenu a été utilisé tel quel.

[2] Tiré de la présentation de Vicky Gagnon-Mountzouris La techno-pédagogie au service de la formation : l’apprentissage par les jeux dans les bibliothèques.

À propos de Jean-Philippe Pouliot

Bibliothécaire en arts et lettres à la bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi.

4 Réponses vers “Le jeu sérieux à l’université”

  1. Il y a quelques années, j’utilisais le jeu « Guess the Google » pour aborder le vocabulaire naturel vs contrôlé dans le contexte d’enseignement des MeSH. Le jeu n’est plus en ligne, mais une autre variante (http://google-image-quiz.net/ est beaucoup plus difficile…

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    • Jean-Philippe Pouliot Réponse 13 juin 2016 à 13:09

      Merci pour le commentaire. J’étais bien déçu aussi de voir que Guess the Google n’existait plus. Je vais peut-être essayer l’alternative, mais effectivement, elle semble quand même assez corsée.

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